J-45 . H-4
Nom d’un neurone, blasphème-t-il allègrement. Non, non. Impossible ! Elle ne passe JAMAIS à l’acte. A moins d’en être contrainte et forcée, or personne ne la contraint ni ne la force à se faire amputer. Hein, Laurel ? Peut-être qu’elle se renseigne simplement. Juste comme ça.
Comme toujours, mais il aurait dû s’en douter avant de poser la question, Laurel l’empêche de se voiler la face. Il se prend pour Bouddha, ce fayot.
Dix ans qu’elle en parle, objecte-t-il, si elle est là aujourd’hui, ce n’est pas pour une simple consultation. Hardy se boucherait bien les oreilles, mais il ne contrôle pas l’audition et les crétins d’en haut refusent de filtrer.
Laurel l’interpelle. Mais non, Hardy ne compte pas se faire à l’idée, encore moins la digérer, ce n’est pas son boulot non plus, la digestion ! Il est affligé, voilà. Atterré, blessé, choqué, un chouïa flippé quand même, il préfère mourir que subir pareille torture, il est au bout du rouleau, fini, plus de force, plus de courage, plus la…
Oui, bon. Laurel le connait trop bien, c’est pénible. Ce qui n’empêche pas qu’Hardy est vraiment inquiet, voire carrément terrorisé alors misérabiliste ou pas, il s’en cogne les flancs.
Comment peut-elle les mépriser à ce point, après tout ce qu’ils ont vécu ensemble ? Leur infliger pareil camouflet sans un mot d’excuse, sans une explication ? Hardy renifle amèrement. Il lui a déjà fallu des années pour accepter le simple fait qu’elle l’envisage, à l’époque, tout ça pour une question d’apparence.
Celle-ci non plus, Laurel ne la laisse pas passer. Il objecte avec beaucoup de sérieux que ce n’est pas une question d’apparence et qu’Hardy le sait aussi bien que lui. Oui, bon, ils débordent allègrement des standards, et alors ? S’énerve Hardy. Est-ce une raison pour les renier ? Il avait fini par se convaincre, à la longue, qu’elle les aimait tout de même. Un peu. Que le reste, c’était pour faire l’intéressante devant les copines.
Hardy ignore Laurel et plisse le nez. Il s’est laissé malaxer, pincer, malmener, caresser, embrasser. Gifler, même, une fois. Hardy est un professionnel. Il a tout donné, tout, même dans la pire des situations, pour offrir les sensations les plus pures, les plus intenses, les plus enivrantes. Du travail d’expert. Grelottant de froid ou baignant dans la sueur, tressautant au pas de course ou écrasé dans ses cages, il a toujours mené ses équipes avec justesse, rigueur, dextérité.
Des années qu’ils préparent le terrain pour la Grande Reproduction, avec Laurel. Elle va tout leur détraquer avec ses inepties ! D’ailleurs à son âge, on se concentre sur la Descendance, pas sur de pareilles aberrations d’ordre esthétique !
Le flanc chaud de Laurel contre le sien apaise peu à peu sa colère. Mais tout de même. Il sait bien qu’il est un peu rond, il se fait aussi petit et léger que possible, mais quoi, il n’est pas Houdini.
Et puis il n’a pas choisi. Alors peut-être, peut-être, oui, qu’il a tendance à s’approprier un peu plus de carburant que les autres. Mais quoi, on se remonte le moral comme on peut. Et si elle a mal au dos, aux épaules, aux genoux, si elle ne peut pas courir, sauter ou danser, est-ce-que c’est sa faute ? Les collègues n’ont qu’à mieux faire leur boulot, d’autant que le Reproducteur, c’est quand même un peu grâce à eux...
Chut, lui ordonne soudain Laurel. Réflexion, marmonne l’homme aux mains froides par-delà la laine et le coton. Hardy cesse de respirer, au grand dam de la communauté dermique. Délai obligatoire, filtrent les épaisseurs en syllabes lointaines, quinze jours.
Quinze jours. Quinze jours ? Quinze jours, Laurel ! Ce n’était qu’un rendez-vous préliminaire, ils sont sauvés, elle va réfléchir, comprendre, le Reproducteur va lui parler, lui rire au nez, la dissuader. Laurel ne dit rien, Hardy trépigne. Ils ont eu chaud.