J 35 . H 11
Il ne sait plus. Toute force de caractère l’a quitté, il n’est plus qu’hésitations, tanguant au gré de ses incertitudes, rebonds secs et âme bafouée, noirceur du monde, violence du...
Laurel éclate de rire. Doucement, parce que ça fait toujours mal, mais Hardy ne rit pas, lui. Au contraire. Personne ne peut se moquer de sa misère affective. Personne ne comprend ce qu’il traverse et qu’on ne vienne pas lui dire d’être patient ! Plus d’un mois, qu’il se roule dans la fange du désespoir !
Si Laurel est totalement libéré des tissus blancs, ce n’est pas le cas d’Hardy. Sa brèche refuse de se refermer. Sitôt que les ouvriers achèvent un secteur, il lâche à nouveau, et ce serait psychosomatique, qu’on lui a dit ! Il lâche un gémissement tremblotant, le nez en feu. Parait que son entêtement affaiblit tout le monde, mais il n’y fait même plus attention, à ce genre de remarques. C’est toujours de sa faute, de toute façon. D’ailleurs c’est complètement faux, il ne s’énerve presque plus, il n’en a plus la volonté. Sa fameuse force de caractère s’est fait la malle avec la moitié de ses employés découpés par un sadique aux mains froides.
Laurel lui ordonne d’arrêter. Ça suffit, le mélodrame ! Ils sont en vacances, tout de même, soleil et piscine, s’en plaindre est culotté. Un mois qu’il se lamente, il serait temps de passer à autre chose, son humeur est ingérable : de colère phénoménale en lamentations éperdues, plus personne n’ose lui adresser la parole.
Hardy s’en cogne le téton, il est, et restera, incompris dans son malheur. Est-ce-que c’est sa faute, s’il oscille entre les émotions les plus extrêmes ? Il n’a pas demandé à se faire découper, il assume comme il peut, il n’a pas… Rien du tout, ricane Laurel. Il n’assume rien du tout. Il se laisse contrôler par ses humeurs, tressautant comme le bonnet F qu’il n’est plus dans les montagnes russes.
Traître. Ingrat. Faux-frère ! Hardy ravale un sanglot, comme souvent. Laurel n’est plus le même depuis qu’on l’a scié. Et lui, il n’y peut rien, quand même, s’il est malheureux ! Encore que malheureux n’est même pas le mot, il est en dents de scie. Scié, dents de scie… non, pas drôle, se résigne Hardy. Il a même perdu son sens de l’humour.
Il ne dit pas le contraire, parfois il se sent presque bien, il ne cherche pas à le nier. Parfois, il pense survivre à l’épreuve. Comme quand elle enfilé une jolie cage de bain, par exemple. Pas l’une de ces cages rigides et opaques l’empêchant de savourer le contact de l’eau fraîche sur son nez, non, un truc magique et tout fin, extensible, souple, dans lequel il pourrait pointer impunément du nez si l’équipe musculaire n’était pas tronçonnée. Un truc qui lui offre une place au balcon, et ce sans aucun système de contention barbare cisaillant le repli ou aplatissant la face.
Oui, là, il a failli y croire. Et puis elle les a laissés mariner en plein soleil dans leur sueur comme du bacon dans sa graisse, il s’est senti chauffer, brûler, suinter. La peau a lâché une fois de plus. Depuis, fini la jolie cage. Retour aux tissus blancs.
Et c’est lui qu’on accuse de se plaindre ! Alors que cette peau de vache, cette peau pourrie, cette sale peau, incapable de maintenir une résistance et une élasticité correcte, passe son temps à geindre ! Pauvre petit épiderme qu’on encense pour sa finesse dans les bons jours, qu’on incendie pour sa fragilité dans les mauvais. Elle fait ce qu’elle peut, qu’elle a dit. A peine une défaillance que tout le monde lui tombe sur le poil, et elle n’en peut plus, ça fait des semaines que ça dure et elle ne s’est pas plainte une seule fois mais là elle en a marre d’être la risée des voisins, et puis elle n’a pas choisi son épaisseur, d’abord, faut voir ça côté génétique.
Une nouvelle goutte de transpiration dégouline sur son flanc. Hardy lâche un soupir à fendre l’âme. Si seulement il pouvait parler, il lui dirait, à cette cruche de Propriétaire, qu’il est stupide de s’allonger au soleil, même avec une cage, quand on a des coutures fraîches. Mais non, madame pense qu’elle gère et ces saletés de glandes refusent d’interrompre la production, obligeant Hardy à laisser des rigoles de sueur lui tartiner les brèches.
Laurel retrouve enfin la raison. Il avoue que là, ce n’est pas la meilleure idée qu’elle ait eu. Elle s’affale au soleil, ça pète, elle couvre, ça soude et sitôt le gros du travail achevé, elle retourne au soleil. Hardy voudrait bien, vraiment, toucher deux mots au conseil cérébral.