J-2 . H-12
Ça passe vite, un mois, ou trente jours, ou sept-cent-vingt heures, ou quarante-trois-mille-deux-cent minutes. Beaucoup trop vite. C’est trop tard. C’est fichu.
Hardy a pourtant tout tenté, convoquant chef après chef, grimpant dans la hiérarchie, secouant les sbires. Et ce soir, enfin, il a obtenu ce qu’il réclamait sans oser l’espérer : le saint des saints, la réunion générale, le meeting global, une concertation généralisée transcendant les grades et les services. Le suffrage universel.
Certes, il savait que Laurel s’était résigné. Il savait ne pas pouvoir compter sur son soutien. Mais ce qui vient de se passer dépasse le pire de ses cauchemars. Il renifle une nouvelle fois, ignorant les paroles de réconfort du traître. Il a perdu le vote avec seulement dix-huit pour cent des voix, et Laurel a voté contre lui. Pire, a pris la parole contre lui.
Dès le départ, c’était mal emmanché. Les pontes de la colonne ont décrété d’emblée que s’ils avaient moins à porter, ils avaient une chance de faire de vieux os parce que franchement presque quatre kilos rien que pour l’équipe mammaire, c’était injuste. Qu’on répartisse un peu, eux, ils en avaient ras les lombaires.
Forcément, après ça… tout le monde suit toujours les pontes de la colonne. Le gros de la troupe a acquiescé d’une seule voix, les rotules ont renchéri, la confrérie des muscles au grand complet s’est sentie forcée d’entériner. Et ceux-là, quand ils parlent, plus personne ne moufte. C’est qu’ils ont du pouvoir, eux.
Hardy ne s’est pas dégonflé. Il a compté par le menu le monde d’apocalypse qui les attend, chirurgie, scalpel, anesthésie générale, drogues, douleur, cicatrices. Pour rien.
La délégation cardiaque au grand complet a pris position en faveur de l’allègement. Avec chiffres, diagrammes et statistiques, les troufions ont pompeusement comparé les risques d’anesthésie ou de complications post opératoires aux risques à longs termes d’un surpoids mammaire.
Acculé, isolé, Hardy a commis une erreur fatale. Il s’en est pris aux sous-fifres du postérieur. Après tout, si Laurel et lui pèsent trop lourd, que dire de ces fainéants bien trop imposants pour servir à quoique ce soit, contrairement à eux, destinés à nourrir la descendance ?
Grossière erreur. C’est que tout le monde les aime bien, les sous-fifres du postérieur. Ils ne se plaignent jamais, ils encaissent sans broncher, ils atténuent tous les chocs et embellissent la machinerie. Parce que pas la peine de se leurrer, qu’on lui a répondu. Les sous-fifres n’ont pas moins leur part de gloire que Laurel et lui dans la capture du Reproducteur.
Le coup de grâce est arrivé du sud : le comité ovarien a bassement mis la Descendance sur le plateau, arguant qu’ils se doivent d’être en forme pour produire un travail de qualité, leur but à tous (là, il se pourrait bien qu’Hardy les ai traité de fayots, mais ses souvenirs sont flous). Qu’allégés, ils seraient plus aptes à se concentrer sur l’essentiel. D’autant que les organes auditifs l’ont confirmé, la Propriétaire et le Reproducteur ont promis de s’y coller sitôt cicatrisée cette histoire de réduction.
Comment vouliez-vous qu’il s’en sorte ? Il ne s’en est pas sorti. Les big boss de la direction cérébrale ont fini par trancher. Cette épreuve serait un exercice supplémentaire pour cimenter leur cohésion, les inviter à se serrer les coudes pour un objectif commun plus beau, plus grand qu’un léger inconfort passager : la Grande Descendance.
Hardy ne pouvait pas en rester là. Tel un animal blessé, il a trembloté, s’est redressé comme il a pu, puis s’est apprêté à prendre la parole. C’est là que c’est arrivé.
Laurel lui a ordonné de se taire. Lui a dit qu’il ne se rendait lui-même pas service, qu’il était temps de grandir, comme s’il s’adressait à une glande pré pubère. Puis a voté contre lui, Hardy s’est fait ratatiner, ridiculiser, et depuis, ignorant les suppliques de Judas contre lui, il attend la mort.