J 120 . H 4
Elle se tient debout devant le miroir et les effleure d’un doigt hésitant. Hardy ne sent rien. Laurel non plus. Elle a peur de ne plus pouvoir compter sur eux, les informe la direction cérébrale pour les rassurer aussitôt : qu’ils ne s’inquiètent pas, il faudra un certain temps avant de rétablir les connexions les plus subtiles.
Hardy se dévisage avec circonspection. Il n’a presque plus mal, seulement quelques décharges électriques lorsque les ouvriers testent les raccordements. Sa dernière brèche est rafistolée, toujours rose et gonflée mais bien propre. Il glisse un coup d’œil à celle de Laurel et laisse échapper un sourire supérieur. C’est une brèche de pâte molle, ça, à peine une toute petite cicatrice, rien à voir avec la fière balafre de son aîné.
Laurel rit à son tour, et Hardy, tout de même, se dit que son frangin est vraiment de bonne constitution. Il se sent chanceux. Il n’aurait jamais pu traverser tout ça sans Laurel.
Oui, bon, il a le globe couturé. Mais pour être honnête, il faut le savoir et d’ailleurs, dans le noir, ça ne devrait pas se sentir. Et si elle leur dégote un Reproducteur à qui ça ne convient pas, renchérit Laurel, c’est qu’il est pauvre en gènes. Ça leur permettra d’opérer un tri plus efficace parmi les postulants.
Pas faux. Mais pour ça, encore faudrait-il qu’elle reparte en chasse. Et c’est pas gagné, soupire-t-il lorsque les glandes lacrymales se remettent en marche.
Hardy fronce soupire. Il se murmure, parmi les ouvriers, que la délégation cardiaque ne s’en remet pas. Qu’il faudra du temps. Hardy n’est pas d’accord avec ça. Regardez, lui ! Il ne s’est pas laissé aller, il a réagi, s’est remué les glandes pour accepter sa nouvelle condition et être utile à la communauté, pas…
Bande de rustauds. Laurel est le seul qui ne rit pas, et encore. Hardy les ignore. Lui, il maintient que la délégation cardiaque doit se remettre en selle. Ne serait-ce que pour constater qu’elle bat toujours, s’accorder quelques accélérations, se prouver que tout n’est pas réduit en miettes.
Ah ouais, s’esclaffe méchamment le comité ovarien. Et comment, alors qu’elle pense ne plus pouvoir compter sur ses attributs mammaires, hein ?
Plus compter ? Hardy s’en étouffe d’indignation. Et d’abord de quoi il se mêle, le panier à œufs ? Dans le miroir, les glandes lacrymales font une pause. Le centre de surveillance est toujours rivé sur eux, et Hardy sent le lait lui monter au nez. Ras le téton, des critiques !
Hardy est un sein d’action, il l’a toujours dit. Pas du genre à se morfondre pendant des heures. Parfaitement ! Peste-t-il par-dessus les railleries. Elle veut une preuve qu’elle peut compter sur eux, elle va l’avoir, dût-il y laisser sa peau. Il serre tout.
Nom d’un pore, que ça fait mal ! Hardy ne lâche pas. Il encourage ses équipes, réconforte les plus faibles, soutient son peloton de muscles, met la fibre à la pâte. Allez les gars ! On peut le faire ! Ici, on tire ! Vous, là, trop tendu, on relâche ! Le sud ne fonctionne pas, toutes les équipes se rapatrient vers le nord pour prêter main forte. Plus vite ! On y est presque !
La douleur est insoutenable. Mais ça, c’est leur douleur à eux, elle ressent à peine un tiraillement. Hardy sent la sueur lui couler le long des flancs, réalisant avec surprise que le groupe sudoripare tente de lui prêter main forte. Et effectivement, les sécrétions lui font du bien.
Puis, le miracle. Il ne le sent pas, mais il le voit dans le miroir. Il voit le centre de surveillance écarquiller les écoutilles, braqué sur lui, sur son nez tout froncé. Ils l’ont fait. Il pointe vers le haut.
Elle l’effleure d’une main, un léger sourire aux lèvres. Hardy félicite ses équipes et relâche enfin la pression, tremblotant sous l’effort dans un silence de plomb. Personne ne parle, et il se demande bien ce qu’ils ont tous, avec leurs mines stupéfaites.