Source image : CC BY-SA 2.0 Ton Haex on Flickr
Prenez soin de votre peau sans produits toxiques ! La nature s’invite dans votre salle de bains ! Ouvrez vos pores aux soins bio ! Adieu, paraben ! Les remèdes de grand-mère au service de la beauté ! mangez bio, soignez frais ! Les nouveaux miracles de la nature !
Là, maintenant tout de suite, une bonne tripotée de refrains du genre traverse le cortex embarrassé de Sophie. Si elle pouvait, elle rirait. Fort. Fort, du genre à transformer les tympans des publicitaires du monde entier en velouté de chanterelles. Du genre à leur faire recracher leur fromage sans lait et leur burger de tofu, encore que les publicitaires que Sophie a dans le collimateur mettent sans doute rarement en pratique leurs bons préceptes. Elle vous parie qu’ils ont les veines obstruées de frites et les joues couperosées au Bourgogne, tiens. Non, ça ne la soulage pas d’y penser, mais ça l’occupe.
Puisque voyez-vous, Sophie a la bêtise de faire confiance aux magazines. C’est-à-dire qu’un, elle se méfie, trois, elle s’interroge, mais l’intégralité de la presse… qui pourrait s’attendre à ce que l’intégralité de la presse se shoote aux algues marines, aussi ? Vous ne la suivez pas, elle vous comprend. Reprenons du début.
Son magazine préféré le clamait haut et fort. Le bain de boue, ça déchire sa race. Peut-être pas dans ces termes exacts, certes, mais c’était le principe : bain de boue, nature, pores heureux, éclat serein, harem en folie. Si si, c’était ça. Noir sur blanc, ou presque, on a promis à Sophie une peau de bébé à la pleine lune après deux ans de masques intensifs au lait d’ânesse vierge. Avouez, ça paraissait tentant. Parce que dans la vraie vie, la peau de Sophie, c’est plutôt lendemain de fête et champ de pâquerettes après la grêle. Et qu’en fait de lait, elle n’avait accès qu’à du demi-écrémé, à moins que la crème Fleurette ne soit fabriquée à partir de lait d’ânesse. Vierge.
Et ? Et il se trouvait que Sophie, après avoir débarrassé sa vie du plus gros crétin de l’histoire humaine, avait planifié LE voyage. Celui qui transforme votre futur, celui au cours duquel vous rencontrez Dieu ou les petits hommes verts, celui dont vous revenez métamorphosée au point que votre ex se suicide de dépit avec son Bic. Celui que toute femme fantasme à l’adolescence, quand trois mois distancent la rentrée, trois mois qui paraissent suffisants pour transformer Cendrillon en Gisele Bündchen. Sauf que non. Et qu’il a fallu tout ce temps à Sophie pour le comprendre.
Quand elle est partie, elle s’est dit que le destin avait enfin décidé de se rattraper. Son magazine qui lui annonce des pores heureux, une destination de rêve qui comme par hasard, abrite des sources naturelles aux boues réparatrices… ça ne sonne pas comme un signe du destin, pour vous ? D’ailleurs finalement, ça l’était. Mais pas dans le bon sens.
Elle y est allée, et même quand les douaniers ont exhibé sa collection de strings Casimir pour vérifier qu’elle n’y avait pas roulé de cocaïne, elle a continué à sourire. Même dans le hall de l’hôtel quand elle a rejoué Holiday on ice sur le dallage fraichement lavé pour atterrir dans un palmier en pot, elle a continué à y croire. La guêpe dans la salle de bains ? Même pas mal. Elle aurait embrassé Rocky avec élan, le résultat aurait été… bon, le même, mais Sophie est une fille positive. Elle a consciencieusement écarté les signes et ignoré le chat noir devant lequel elle est passée avant d’enfoncer la baie vitrée en sortant. Que voulez-vous, avec un œil en patate, on voit moins bien.
D’ailleurs quand elle a atteint la source, le reste s’est envolé. Ô joie, ô bonheur, paysage naturel aux accents sauvages ricochant sur ses neurones éblouis, boue magique et lait d’ânesse. Dans un silence réjoui par le lieu désert, mais c’est qu’on était hors vacances scolaires, aussi, c’est avec une allégresse de naturiste sur la plage que Sophie s’est enduite de la tête au vernis à ongles. Oui, elle était seule, il fallait bien qu’elle rendre hommage à la nature pour sa future peau de bébé, elle a viré le bikini. D’ailleurs, sous ses trois centimètres de boue dégoulinante, elle a bien senti le miracle du bio atteindre ses pores, c’était comme si sa virginité repoussait, là, à poil sous la vase, dressée face aux éléments au centre d’une nature sauvage et préservée.
Voilà. Ça, c’était les douze premières minutes, plus ou moins. Jusqu’à ce que Sophie décide que dressée à poil face aux éléments, c’était bien joli, mais que ça commençait à lui faire sacrément froid sur le body de boue. Elle a décidé que regagner un triangle de bikini pouvait sonner comme une bonne idée. Et elle a constaté, avec un certain dépit, avouons-le, que les éléments avaient eu un effet certain sur ledit body de boue. Il était sec.
Mais attention, quand elle dit sec, elle veut dire croûte de sel après cuisson. Le coquelet ? Elle, oui. Bien calée dans sa croûte. Incapable de bouger, encore que, attendez. Pour être honnête, elle a tout de même réussi à atteindre l’eau avec une démarche d’épouvantail probablement torride, mais non, ne vous réjouissez pas. Parce que pendant qu’elle attend la dissolution de sa boue corporelle pour pouvoir, au minimum, s’agenouiller et immerger sa nudité, un bus de touristes braillant la Marseillaise est en train de se garer le long du bassin. D’où le cortex embarrassé et le velouté de chanterelles.