Chez Sidonie, on a de beaux principes. L’amour c’est du travail, et le compromis est le ciment du couple. Une vie sans art est une vie bien fade. L’honneur et l’honnêteté font la valeur d’un être humain. Pas mal, hein ? Ouais. Très très beau, si ce n’est que ces trois jolis préceptes l’ont menée droit dans sa panade actuelle et qu’en fait de panade, c’est de la chapelure au piment.
On est le fruit de son éducation, pour sûr, et la pomme de Sidonie n’est pas tombée très loin de l’arbre. Voir juste sur les racines. Elle aime un artiste, elle bosse pour le rester et tient toujours sa parole. Sauf que quiconque a aimé un artiste sait à quel point c’est compliqué. Ça oui, l’artiste est passionnant, intellectuellement stimulant et riche en évènements. On ne s’ennuie jamais, avec l’artiste, mais on se fatigue très vite.
Remises en question existentielles, questionnements inutiles, why, oh why, mais pourquoi tu m’aimes est-ce-que tu m’aimes, où j’en suis qu’est-ce-que je veux, et si je faisais fausse route où suis-je dans ma vie. Et Dieu ? Et la politique ? Et le monde bon sang le monde comment vivre dans ce monde ? Et l’inspiration où est l’inspiration je suis nul tu me trouves nul je vaux rien, puis une heure plus tard, tu peux pas comprendre j’ai pas le temps chuis inspiré.
Allez savoir pourquoi Sidonie aime son Van Gogh, mais elle l’aime, ça lui suffit. Elle est mieux avec lui qua sans lui, c’est tout ce qui compte. Compromis ! Susurre la voix de sa mère. En général elle serre les fesses, colle une claque à Van Gogh et attend que ça passe puisque ça passe toujours et que le reste du temps il est cool, son artiste. Parfois quand même elle pète les plombs, et là c’est Van Gogh qui fait des compromis.
Bref. Tout ça pour dire que lorsque l’artiste en question l’a suppliée de poser pour lui, elle s’est sentie flattée. Qui ne l’aurait pas été ? Elle, une muse ? La muse de son homme ? Honorée, surprise, émue, grosse quiche, oui. Quand il a déroulé sa liste, elle s’en est mordu la glotte.
Le sens de l’honneur inculqué par ses parents a beau être très valeureux, il est surtout très handicapant dans un monde où la télé-réalité sert de référent. Quand Sidonie dit, jamais ne s’en dédit. Elle assume. Quoi qu’il en coûte. Même quand son artiste lui demande d’enfiler un costume de Lapinou Playboy et de s’accroupir devant la fenêtre durant deux heures, et ça, c’est juste le temps de l’esquisse préliminaire.
Le pire ? Quand l’artiste travaille, il est concentré. Il ne cause pas. Rien, pas même la météo ou un compliment, en deux heures de pose à peine a-t-elle eu droit à un « moi aussi » murmuré du bout des lèvres entre deux froncements de sourcils. Deux heures, on insiste. Deux heures accroupie en talon aiguille et oreilles de lapin, avec un courant d’air entre les seins.
Sidonie n’a pas bronché, mais après deux heures sans bouger sans parler, elle était déshydratée. Elle a réclamé un verre d’eau. On vous situe un peu, vite fait : appartement de jeune couple, trois pièces, dix mètres jusqu’à la cuisine, mais non. Van Gogh était lancé. Tout juste a-t-il consenti à lui refiler le fond de sa bière. Chaude et éventée, puisqu’ouverte depuis deux heures. Haut les cœurs, Sidonie ! Tu l’aimes. Ne cherche pas à comprendre pourquoi, pas maintenant, vraiment. Ce soir, tu te souviendras. Ou quand tu te découvriras en pin-up sur le tableau, peut-être ?
Elle n’était pas très sûre, mais Sidonie a compris très tôt que pour continuer à aimer l’artiste, mieux valait compenser : ne pas se poser trop de questions et aller de l’avant, toujours. Elle a donc fait un nœud à sa vessie trop pleine, siroté une goulée de bière chaude et ignoré le grognement désapprobateur au mouvement que forcément, elle a dû faire pour porter la bouteille à ses lèvres. Si, Sidonie, tu l’aimes.
La logique de l’artiste, elle aussi, suit un cheminement qui lui est propre. Van Gogh ne voulait peut-être pas communiquer avec sa muse, mais il n’a pas eu de scrupules à répondre à son portable. Ne jamais chercher à comprendre le labyrinthe cérébral de l’artiste, migraine garantie, Sidonie a fait un geste. Bouge pas, tu vas perdre le flux ! Qu’il a tonné avant de quitter la pièce. Quel flux ? Le seul flux qu’elle sentait, elle, c’était le sang qui refluait de ses membres ankylosés.
Comment dire ? Comment expliquer ? Elle l’a entendu. Farfouiller. Puis pester. Puis casser quelque chose et jurer très fort. Là, elle s’est dit que l’artiste n’était plus très concentré. Bordel de couille, on a une fuite, la cuisine est inondée ! Voilà ce que Van Gogh a beuglé depuis l’entrée avant de claquer la porte sans un mot de plus. Classe, quoi.
Accroupie devant sa fenêtre, Sidonie a hésité. Ça n’avait pas l’air d’une blague. Bon. Elle a supposé qu’en cas de force majeure, elle avait le droit de bouger, et a poussé sur ses cuisses d’un mouvement brusque pour se redresser. Trop brusque ? Ça dépend. Un élancement subit au bas des reins et l’incapacité totale à se mouvoir, d’un coup, pourrait pencher en ce sens.
Zen, Sidonie. Elle a bu encore un peu de bière chaude et fait une nouvelle tentative. Puis une autre. Et encore une autre. Non, donc, elle ne se relèverait pas aujourd’hui. Sidonie ! Oh, la douce voix de Van Gogh. Y a le voisin dessous qui a vingt centimètres de flotte dans son appart, il a appelé les…
Et voilà. Voilà comment à la trentaine passée, vous pouvez encore éprouver l’impression d’avoir fait pipi dans votre culotte devant toute la classe, lorsque trois pompiers, Van Gogh, le concierge et le voisin du dessous se pointent dans la pièce d’un pas martial pour trouver la maîtresse des lieux avec un pompon aux fesses, le balcon exposé sous ses oreilles de lapinou, accroupie avec une bière et un sourire aussi crispé que son lumbago. L’artiste ce soir, il va ramer.
On est le fruit de son éducation, pour sûr, et la pomme de Sidonie n’est pas tombée très loin de l’arbre. Voir juste sur les racines. Elle aime un artiste, elle bosse pour le rester et tient toujours sa parole. Sauf que quiconque a aimé un artiste sait à quel point c’est compliqué. Ça oui, l’artiste est passionnant, intellectuellement stimulant et riche en évènements. On ne s’ennuie jamais, avec l’artiste, mais on se fatigue très vite.
Remises en question existentielles, questionnements inutiles, why, oh why, mais pourquoi tu m’aimes est-ce-que tu m’aimes, où j’en suis qu’est-ce-que je veux, et si je faisais fausse route où suis-je dans ma vie. Et Dieu ? Et la politique ? Et le monde bon sang le monde comment vivre dans ce monde ? Et l’inspiration où est l’inspiration je suis nul tu me trouves nul je vaux rien, puis une heure plus tard, tu peux pas comprendre j’ai pas le temps chuis inspiré.
Allez savoir pourquoi Sidonie aime son Van Gogh, mais elle l’aime, ça lui suffit. Elle est mieux avec lui qua sans lui, c’est tout ce qui compte. Compromis ! Susurre la voix de sa mère. En général elle serre les fesses, colle une claque à Van Gogh et attend que ça passe puisque ça passe toujours et que le reste du temps il est cool, son artiste. Parfois quand même elle pète les plombs, et là c’est Van Gogh qui fait des compromis.
Bref. Tout ça pour dire que lorsque l’artiste en question l’a suppliée de poser pour lui, elle s’est sentie flattée. Qui ne l’aurait pas été ? Elle, une muse ? La muse de son homme ? Honorée, surprise, émue, grosse quiche, oui. Quand il a déroulé sa liste, elle s’en est mordu la glotte.
Le sens de l’honneur inculqué par ses parents a beau être très valeureux, il est surtout très handicapant dans un monde où la télé-réalité sert de référent. Quand Sidonie dit, jamais ne s’en dédit. Elle assume. Quoi qu’il en coûte. Même quand son artiste lui demande d’enfiler un costume de Lapinou Playboy et de s’accroupir devant la fenêtre durant deux heures, et ça, c’est juste le temps de l’esquisse préliminaire.
Le pire ? Quand l’artiste travaille, il est concentré. Il ne cause pas. Rien, pas même la météo ou un compliment, en deux heures de pose à peine a-t-elle eu droit à un « moi aussi » murmuré du bout des lèvres entre deux froncements de sourcils. Deux heures, on insiste. Deux heures accroupie en talon aiguille et oreilles de lapin, avec un courant d’air entre les seins.
Sidonie n’a pas bronché, mais après deux heures sans bouger sans parler, elle était déshydratée. Elle a réclamé un verre d’eau. On vous situe un peu, vite fait : appartement de jeune couple, trois pièces, dix mètres jusqu’à la cuisine, mais non. Van Gogh était lancé. Tout juste a-t-il consenti à lui refiler le fond de sa bière. Chaude et éventée, puisqu’ouverte depuis deux heures. Haut les cœurs, Sidonie ! Tu l’aimes. Ne cherche pas à comprendre pourquoi, pas maintenant, vraiment. Ce soir, tu te souviendras. Ou quand tu te découvriras en pin-up sur le tableau, peut-être ?
Elle n’était pas très sûre, mais Sidonie a compris très tôt que pour continuer à aimer l’artiste, mieux valait compenser : ne pas se poser trop de questions et aller de l’avant, toujours. Elle a donc fait un nœud à sa vessie trop pleine, siroté une goulée de bière chaude et ignoré le grognement désapprobateur au mouvement que forcément, elle a dû faire pour porter la bouteille à ses lèvres. Si, Sidonie, tu l’aimes.
La logique de l’artiste, elle aussi, suit un cheminement qui lui est propre. Van Gogh ne voulait peut-être pas communiquer avec sa muse, mais il n’a pas eu de scrupules à répondre à son portable. Ne jamais chercher à comprendre le labyrinthe cérébral de l’artiste, migraine garantie, Sidonie a fait un geste. Bouge pas, tu vas perdre le flux ! Qu’il a tonné avant de quitter la pièce. Quel flux ? Le seul flux qu’elle sentait, elle, c’était le sang qui refluait de ses membres ankylosés.
Comment dire ? Comment expliquer ? Elle l’a entendu. Farfouiller. Puis pester. Puis casser quelque chose et jurer très fort. Là, elle s’est dit que l’artiste n’était plus très concentré. Bordel de couille, on a une fuite, la cuisine est inondée ! Voilà ce que Van Gogh a beuglé depuis l’entrée avant de claquer la porte sans un mot de plus. Classe, quoi.
Accroupie devant sa fenêtre, Sidonie a hésité. Ça n’avait pas l’air d’une blague. Bon. Elle a supposé qu’en cas de force majeure, elle avait le droit de bouger, et a poussé sur ses cuisses d’un mouvement brusque pour se redresser. Trop brusque ? Ça dépend. Un élancement subit au bas des reins et l’incapacité totale à se mouvoir, d’un coup, pourrait pencher en ce sens.
Zen, Sidonie. Elle a bu encore un peu de bière chaude et fait une nouvelle tentative. Puis une autre. Et encore une autre. Non, donc, elle ne se relèverait pas aujourd’hui. Sidonie ! Oh, la douce voix de Van Gogh. Y a le voisin dessous qui a vingt centimètres de flotte dans son appart, il a appelé les…
Et voilà. Voilà comment à la trentaine passée, vous pouvez encore éprouver l’impression d’avoir fait pipi dans votre culotte devant toute la classe, lorsque trois pompiers, Van Gogh, le concierge et le voisin du dessous se pointent dans la pièce d’un pas martial pour trouver la maîtresse des lieux avec un pompon aux fesses, le balcon exposé sous ses oreilles de lapinou, accroupie avec une bière et un sourire aussi crispé que son lumbago. L’artiste ce soir, il va ramer.