Source image : CC LicencePaternité Certains droits réservés par Nicoletta Antonini sur Flickr
Deux ans qu’elle en rêvait, Rose. Deux ans qu’elle rêvait de secouer la tête façon l’Oréal, de repousser sa lourde chevelure comme Angelina, de recouvrir ses seins de blondeur ondoyante. Malheureusement, le destin est cruel et le cheveu long à pousser. Non, elle n’a pas les seins qui tombent. Elle a le cheveu paresseux. Et brun.
Alors franchement, quand sa copine Amélie lui a proposé des vacances au bord de l’eau, elle s’est dit que c’était l’occasion ou jamais. Non ? Si. Deux célibataires en goguette, bungalow au bord du lac et soleil généreux, Catherine Laborde pouvait bien remballer ses prévisions dépressives. Rose allait se baigner, Rose allait bronzer, Rose allait tout changer.
C’est que Rose, elle a tendance à bosser comme une folle. Mais genre comme une folle avec heures supplémentaires impayées même pas mal j’aime mon travail, sauf que les heures supplémentaires impayées même pas mal j’aime mon travail, c’est plutôt toxique pour la vie sociale. Non qu’elle ne veuille pas rencontrer l’amour, mais l’amour ça prend du temps, et Rose n’a pas le temps de perdre du temps. Elle voudrait bien LE mâle, là maintenant tout de suite, sagement rangé dans le placard pendant qu’elle travaille mais prêt à lui masser les pieds sitôt qu’elle franchit le seuil de l’appartement. Pas facile, non.
Bref, vous comprenez mieux, maintenant. Rose s’est enfin dit qu’il était temps. Temps d’arrêter les folies, temps de se reposer, temps de chercher son masseur de pieds. Alors elle l’a fait, oui, elle a tout changé. Elle a réclamé une augmentation. Elle ne l’a pas eue, elle a arrêté les heures supplémentaires. On a menacé de la virer puisque vous comprenez en temps de crise, tout le monde fait un effort. Elle a fait un énorme effort et claqué la porte.
Après ça, deux solutions : déprime au Nutella ou prise en main express, Rose est une fille active, elle s’est collé un coup de stiletto dans le fessier, s’est fait percer le nombril, décolorer les cheveux et poser des extensions capillaires. Adieu working girl débordée, bonjour Blondie nonchalante. La chevelure de lionne était enfin sienne. Et s’il lui a fallu quelques jours pour s’habituer aux tensions dans la nuque, rapport au nouveau poids capillaire implanté sur son crâne, si la texture paille de sa toison décolorée l’a un instant déstabilisée, elle a rapidement fait son choix. Blondie, à nous deux. Elle a bossé comme une folle sur ses mouvements de chevelure.
Oh, qu’elle était fière, à l’aéroport. Oh, qu’elle était fière, dans le bus. Oh, qu’elle était fière, sur le ponton. La blondeur dégoulinante sur le bikini, elle paradait d’une planche à l’autre, libérée de ses chaînes professionnelles et au diable l’avenir ! Le monde appartient aux blondes chevelues, quoiqu’en dise Amélie et son carré châtain. La preuve : c’est là que LE mâle est arrivé.
Elle n’était pas très sûre que LE mâle sache masser les pieds, mais LE mâle était drôle. Ça compense. Et depuis trois jours qu’il lui tournait autour elle s’était dit, ce matin-là, qu’elle allait conclure l’affaire d’un mouvement de chevelure royal. Une coulée blonde sur le bikini et bam, LE mâle se mettrait aux massages de pieds. Elle rentrerait chez elle, rangerait LE mâle dans le placard et se dégoterait un bon boulot bien payé sans heures supplémentaires. Oui, elle lit beaucoup de romans sentimentaux, à défaut de vie sociale.
Ce jour-là, elle a donc attrapé Amélie pour la traîner jusqu’au ponton où pieds dans l’eau et bikini nonchalant, elles ont attendu la proie. Proie n’a pas failli, d’ailleurs. LE mâle a déboulé derrière elles, œil inquisiteur et pectoraux au garde à vous. Ne te retourne pas, a ordonné Rose. Nonchalante, on a dit. Genre on a mieux à faire que compter ses carrés de chocolat. Oui, c’est faux, mais il ne doit surtout pas le savoir, sans quoi il n’apprendra jamais le massage de pieds.
Quand il l’a apostrophée, elle l’a gratifié l’air de rien d’un geste de la main qui disait minute papillon, je suis occupée. Détachée. Souveraine. Maîtresse de la situation. Et toujours l’air de rien, elle l’a gratifié de son fameux mouvement de chevelure royale.
Il aurait suffi qu’elle se contente de sourire, elle n’aurait jamais su à quel point la vie pouvait être mesquine. Il aurait suffi qu’elle se retourne comme une fille normale, une qui n’aurait pas dix kilos de faux cheveux sur le crâne. Mais non. Elle l’a fait. Elle a courageusement secoué la tête sans considération pour les protestations de son cerveau malmené, puisque pour faire tournoyer dix kilos de cheveux, le cortex prend les montagnes russes.
Alors oui, sa chevelure a volé. Royalement. La masse étincelante s’est soulevée, lui a fouetté les épaules, s’est abattue sur ses seins. Et son ventre. Et son nombril. Elle a choisi un peu trop long, peut-être ? Ou peut-être était-ce le piercing, l’erreur. Oui voilà, c’est ça. Parce que depuis dix minutes que LE mâle l’appelle, l’attend, trépigne, elle tente de décrocher ses cheveux de son piercing au nombril. Et plus elle tente, plus elle s’emmêle, plus elle s’emmêle, plus ça tire. Amélie parle déjà de ciseaux, LE mâle commence à s’approcher, et Rose se dit que finalement son cheveu originel n’était peut-être pas paresseux, mais simplement prudent.