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Vous la voyez venir. Là, tout de suite, vous vous dites que Noëlle a mis le feu à son sapin et qu’avec un prénom pareil, ça n’a rien de surprenant, ça s’appelle le karma. Sauf que non. Que le karma de Noëlle sente le Munster, elle veut bien vous l’accorder, mais elle n’a pas mis le feu à son sapin. Non. Son karma est bien plus vicieux.
Commençons par son prénom, histoire de s’en débarrasser. Non, ses parents n’étaient pas non plus fétichistes des guirlandes. Simplement, ils se sont dit qu’en appelant leur fille Noëlle, elle serait forcément promise à de grandes choses, et par grandes ils entendaient Noël sur un yacht. Noëlle va être honnête avec vous : son seul yacht est en mousse et flotte dans le bain, au grand désespoir de ses géniteurs. C’est que contrairement à ce que la naïveté parentale a réussi à leur faire croire, s’appeler Noëlle, dans la vie, s’apparente plus au marathon avec boulet. Et blagues ratées de la maternelle à l’open space, depuis « t’es même pas la vraie mère Noël », jusqu’à « t’as laissé ton traîneau au parking ? ». Inutile de vous dire que si Noëlle a fait la paix avec son prénom, c’est surtout parce que les formalités pour en changer la fatiguaient d’avance.
Pour autant, Noëlle n’a rien contre Noël, bien au contraire. Voyez ça comme une douce revanche sur la vie. Loin de se contenter d’une sapinette à trois boules, elle opte tous les ans pour les grands travaux, avec rénovation totale de l’appartement sous le signe de la guirlande, au grand désespoir de Mr Noëlle. Mais pour le pire et le meilleur, il a promis. Voilà. Noëlle, son meilleur et son pire, c’est de faire un pied de nez à son karma à coup de boules. Au pluriel. Et en brillance.
Cette année encore, tout était parfait – si on ne s’arrête pas aux infimes détails triviaux que peuvent être la volonté du chien de laisser son empreinte urinaire sur le pied du sapin, le fait d’avoir craqué trois collants avoir de penser à retirer sa bague pour le quatrième, ou la mauvaise volonté de Mr Noëlle face à sa cravate-lutin. Des détails, elle vous dit. La dinde se digérait, la bûche glaçait, les cadeaux patientaient et les invités s’enivraient, un vrai Noël de chez Noëlle, de ces instants magiques avant que les papiers d’emballage ne repeignent le parquet et que belle-maman n’entreprenne beau-papa sur la loi Macron. De ces instants où quand votre frangin sort des bougies à étincelles, on trouve que doux Jésus, mais quelle idée de génie !
Le frère de Noëlle s’appelle François, comme Mitterrand. Inutile de dire que la seconde tentative parentale fut plus réussie : François vient de s’acheter une grosse voiture. Alors voilà, François a sorti ses bougies, Noëlle était emballée, belle-maman aussi, c’est dire, et vas-y que je t’allume les baguettes en braillant Ô Tannenbaum les coudes sur la table, jusque-là tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, du moins dans un monde où on s’appelle Noëlle à Noël. Parce qu’ensuite, Noëlle a voulu servir la bûche.
Dans la famille de Noëlle, vous l’avez compris, on est un tantinet superstitieux. Noëlle beaucoup moins, rapport au prénom raté, mais on ne perturbe pas impunément ses géniteurs : c’est pourquoi tous les ans, elle respecte sagement la tradition de la bûche glacée et de son coulis tiède. Allez savoir pourquoi ses parents ont érigé un glaçon enrobé en tradition, d’autant que l’enjeu est d’avaler la chose en six secondes chrono, avant que le coulis n’ait transformé le dessert en flaque. Mais c’est comme ça, on ne discute pas les traditions, Noëlle s’est donc rendue dans la cuisine pour faire chauffer le coulis. Et a pris conscience du défi, ses deux bougies crachant des étincelles dans les mains.
Elle a voulu les poser, et puis elle a eu peur pour son plan de travail. Elle a donc appelé Mr Noëlle, qui sous la voix de stentor de belle-maman entonnant le huitième couplet de son chant de Noël, n’a pas semblé percevoir l’appel au secours de sa douce. Noëlle n’allait pas se laisser arrêter par si peu, le coulis était sur la plaque à induction, ne restait qu’à sortir la bûche du congélateur. Ce qui avec les coudes, s’est avéré complexe, Noëlle n’était donc pas peu fière de déposer son œuvre à côté du coulis, imaginez un peu. Allumer la plaque sous le coulis, en comparaison, fut un jeu d’enfant, c’est du moins ce qu’elle a pensé, les premières secondes.
C’est dingue ce que ça chauffe vite, une plaque à induction. Et c’est dingue ce que ça brûle longtemps, ces satanées bougies magiques. Ça, c’est ce que s’est dit Noëlle, quand à la quatrième seconde, un étrange crépitement est parvenu à ses tympans surpris. Lorsqu’à la cinquième, elle a compris, c’était déjà trop tard. La précision approximative de son coude avait allumé la mauvaise plaque, et le coulis ne chauffait pas. En revanche, le papier sous la bûche venait de prendre feu.
Cette fois, Noëlle a fait fi des chants. Ses bougies pétaradantes dans les mains, elle a battu des coudes, soufflé et aggravé le brasier, avant de hurler avec douceur un message à son cher époux clamant plus ou moins, en substance : ramène tes fesses ou je te rends stérile. Difficile de savoir, entre les bougies, les flammes et les bips de la plaque à induction inondée par la bûche, si Mr Noëlle avait entendu, mais Noëlle a développé le thème avec beaucoup de constance. Lâcher ses bougies et prendre le risque d’étendre l’incendie ? Ou regarder sa bûche mourir à petit feu ? La bonne nouvelle, c’est que le choix fut vite fait : la flaque de la bûche a eu raison des flammes du papier. La mauvaise nouvelle, c’est que Mr Noëlle avait reçu le message.
Alors non, Noëlle n’a pas mis le feu à son sapin. Elle a fait pire, parce qu’il s’est approché sans bruit, cet idiot, perturbé par les cris d’orfraie de sa moitié. Forcément, il lui a fait peur. Forcément, elle a fait volte-face ses bougies à la main, et elle a mis le feu à la cravate-lutin de Mr Noëlle. Il est fâché. Pourtant son menton, c’est raccord avec les boules.