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En théorie, ça aurait pu arriver à ns’importe qui. En théorie. Malheureusement, dans ce genre de cas, la théorie a peu de poids face à la dose de chkoumoune impliquée, et Myrtille n’est qu’humaine. Elle est plutôt en mode pourquoi moi qu’est-ce-que j’ai fait pour mériter ça, que ça arrive à tout le monde on en rira demain. Ça viendra, certes. Dans dix ou quinze ans.
La météo, voyez-vous, semble être en pleine phase de rébellion. Décembre ? Comment ça, décembre ? Même pas mal, allons-y sur les 10 degrés, Noël ou pas, les frissons ne passeront pas par moi. Non que Myrtille s’en plaigne, attention. Myrtille est une femme positive, en général, et ce jour-là, elle s’était dit chouette alors, du soleil, et si je partais faire une petite promenade dans les bois. Mais Myrtille est aussi une femme multitâche, et sa nature positive l’a poussée à combiner en une seule et même action productive la jouissance d’une belle journée avec la conquête du beau Bertrand. Après tout, qui résisterait à une promenade dans les bois par une belle journée de décembre ?
Sitôt dit, sitôt fait, Myrtille a envoyé un texto aguicheur au beau Bertrand, chaussé ses plus belles Converse sous sa culotte remonte-fesses et sa jupe longue de tombeuse, puis attrapé ses clés. Ah, quelle belle journée, vraiment. Ça valait bien le détour chez Starbucks, pour y récupérer deux latte au gingembre, soit Noël et un puissant aphrodisiaque rassemblés comme par magie dans un gobelet en carton. Si le beau Bertrand ne succombait pas avec pareille débauche de moyens, Myrtille s’en lavait les mains. Mais pour assurer le coup, tout de même, elle a récolté au passage un assortiment de muffins.
Elle y était. Elle sentait que cette journée serait la bonne, que l’univers était de son côté, que la médaille n’aurait pas de revers. En gros, Myrtille se voyait déjà emballer au soleil. Non, le beau Bertrand n’avait pas répondu, mais Myrtille ne doutait point, la moitié d’un muffin au chocolat blanc l’en empêchait, c’était trop bon pour douter. C’est donc dans la joie et la bonne humeur qu’elle a faufilé sa Twingo sur les chemins champêtres, un coude à la fenêtre et le pied sur l’accélérateur. Et c’est là que l’univers lui a dit non, finalement, tu vas avoir une journée pourrie.
Comment ? En possédant un lapin. Parfaitement. S’il n’avait pas été possédé, jamais ce charmant lapinou ne serait venu contrecarrer le plan bien huilé de Myrtille en venant se planter devant la Twingo au beau milieu du chemin. Myrtille n’aurait pas eu à piler brusquement pour éviter à son karma de s’entacher d’un meurtre sanglant, les gobelets de Gingerbread latte n’auraient pas traversé l’habitacle jusqu’à ses pieds pour se répandre sur le tapis de sol, et même si c’était arrivé, elle n’aurait certes pas eu le coude sur la fenêtre, ce qui avec deux mains, lui aurait laissé une chance de rattraper les gobelets fugueurs.
Vous vous en doutez, ce ne fut pas le cas. Et le premier réflexe de Myrtille, comme quoi quand on frôle la mort, on révèle ses priorités, fut de mettre à l’abri ses Converse immaculées. Elle a donc aussitôt pointé les pieds par la fenêtre. Non, quand on frôle la mort, on n’est pas forcément logique. En revanche quand le timing décide de vous tomber dessus avec la subtilité d’Excalibur dans son roc, il ne s’arrête pas en si bon chemin, et c’est à cet instant précis que le portable de Myrtille a vibré.
Evaluation rapide de la situation : tapis de sol côté voyageur suintant le gingembre, sac à main répandu sur son voisin côté passager, Converse immaculées, possibilité, voire forte probabilité rapport au timing pourri, que le texto provienne du beau Bertrand. Action, réaction. Myrtille s’est élégamment allongée sur le dos pour pouvoir atteindre son portable, côté tapis de sol passager, sans approcher ses Converse du danger caféiné, tendant le bras à s’en démettre l’épaule. Ce qui lui a permis d’obtenir trois révélations de même importance : d’une, c’était bien le beau Bertrand, qui annonçait son arrivée dans les minutes à venir, témoignant soit de son extrême désœuvrement en cette belle journée de décembre, soit de son extrême motivation à emballer la Myrtille. Non que Myrtille ait réussi à attraper son portable, mais le message était affiché sur l’écran, à quelques centimètres de ses doigts. De deux, elle avait oublié d’enclencher le frein à main, et pour un peu que lapinou soit toujours en train de se remettre de sa frayeur, il était à deux poils de finir en civet. De trois, la manche de son pull était dorénavant coincée dans la manette du fauteuil passager, coinçant sa propriétaire en position de Superman en vol, bras tendu et jambes par la fenêtre.
Qu’à cela ne tienne, Myrtille a deux bras. Elle a donc plongé le second dans son dos, tâtonné jusqu’à trouver le frein à main et abaissé d’un coup sec. Réussissant du même coup, ce qui passerait pour un exploit pour quiconque n’étant pas à la place de Myrtille, à coincer sa deuxième manche de pull dans le frein à main. Myrtille étant à sa place, elle s’est contentée d’un juron à faire rougir un blaireau.
A ce niveau de la compétition, vous imaginez bien que Myrtille croyait moyennement en sa bonne étoile. Aussi, lorsqu’un bruit de moteur approchant est parvenu jusqu’à ses tympans, a-t-elle entamé aussitôt la phase de la résignation, allongée dans sa voiture les pieds par la fenêtre et le frein à main dans le dos, sa jupe longue de tombeuse en pleine action, c’est-à-dire remontée jusqu’à la culotte gainante. Avec de la chance, il ne s’agissait que d’un promeneur innocent. Avec la chkoumoune, du beau Bertrand. Devinez.