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Elle en rêvait depuis… depuis ses dix ans, au moins. Peut-être même avant, mais à cet âge-là on n’a plus d’un rêve, c’est difficile de faire le tri : à dix ans, Mélanie voulait être astronaute sous-marine, marchande de chaussures, président de la république du monde et vétérinaire pour hippocampes. En gros, dictateur végétarienne en Louboutin avec un aquarium géant et une piscine à débordement.
Elle est actrice. Pas si éloigné, finalement, quand on y pense, tout du moins concernant la finalité puisque sa finalité, à Mélanie, c’était le tapis rouge de Cannes. Déjà à l’époque du dictateur en Louboutin, elle se voyait monter les marches avec son hippocampe en laisse. Alors non, elle n’a pas choisi son métier en fonction, c’est bien ça le plus drôle, c’est… ou bien… si ? Aurait-elle pu se laisser cravacher par son inconscient ?
Non, non. Mélanie est pragmatique. Elle avait de jolies cuisses, c’est ce qui l’a sauvée, des cuisses toutes rondes avec trois étages de plis. Comme quoi en vieillissant, les critères changent. A deux ans, elle jouait le bébé qui fait pipi sur le canapé, avec ses jolies cuisses potelées, ça ne s’oublie pas un truc pareil, c’est en tous cas ce qu’elle s’est dit le jour où elle a décroché un casting. Comme ça, au culot, dans une soirée. Parce qu’elle a fait rire quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un en affirmant qu’on l’avait payée pour faire pipi sur un canapé. C’était un poil biaisé, elle marche à tous les coups, cette vanne. Depuis dix ans qu’elle la servait à toutes les sauces, une seule personne y avait résisté : l’examinateur de son oral de bac.
Mais bref. Mélanie est actrice, elle en est fière, tout du moins aujourd’hui. Puisque soyons lucides, elle se vantait relativement peu de se frotter les aisselles dans des publicités pour déodorants. Quand elle a fini égérie Tampax, encore moins, mais les tampons payaient bien. Elle a pu s’acheter une paire de Louboutin, première étape vers sa conquête du monde. Sauf que forcément, du coup, un vrai film, hein… fière, non. Carrément hystérique, oui. Non mais vous le croyez, ça ? Mélanie, cuisses de porcelaine 1995, actrice dans un vrai film de plus de dix minutes, avec un vrai scénario et de vrais dialogues !
Autant vous dire que quand son agent l’a appelée pour lui annoncer la nouvelle, elle en a recraché ses Miel Pops dans l’aquarium de Junior, son hippocampe. Le Festival. Mélanie, au Festival de Cannes. Gael Garcia Bernal dans le jury du Festival de Cannes, ne l’oublions pas, Mélanie se verrait bien réchauffer les rapports franco-mexicains. Mélanie, en robe de soirée au Festival de Cannes. Mélanie, en robe de soirée sur les marches rouges du Festival de Cannes.
Bam. A cet instant de ses pensées, le téléphone toujours à la main et un Miel Pops survivant collé aux lèvres, Mélanie a complètement oublié qu’elle en rêvait depuis ses dix ans, elle a simplement lâché une bordée de jurons à en faire rougir Junior, se voyant déjà dévaler les marches le string à l’air après s’être pris les pieds dans sa robe. Robe courte, alors ? Oui mais ma vieille, tu ne vas pas les monter en Reebok non plus, les marches. Non ? Bon, donc le problème restait le même. Sourire + agiter les mains + escalader un escalier + talons de 12 cm = string à l’air. Et même en pantalon, on n’a pas pour autant envie de se ramasser sur les marches de Cannes.
En plus d’une pragmatique, Mélanie est une femme d’action : elle a fait ses valises et investi le pavillon familial. Papa maman, question de vie ou de mort. Il me faut votre carte de fidélité Leroy-Merlin. Ils sont gentils, ses parents, dotés d’une foi inébranlable en leur fille aux cuisses de porcelaines et pourtant, maman a tiqué quand elle a retrouvé son escalier en pierre tapissé de rouge. Mais il fallait bien qu’elle s’entraîne, Mélanie !
Ah ça, elle a bossé. Elle a monté les marches toute la journée durant un mois. Non seulement elle s’est sculpté des fesses en béton, mais elle a appris par cœur la mécanique. Monter des marches est devenu un automatisme, elle aurait pu le faire en dormant, et c’est bien ce qui l’a perdue.
Puisque le jour de la montée des marches, Mélanie, elle a grimpé en automate. Non mais c’est vrai, quoi, les flashs dans la tronche, une robe à traîne au prix d’un duplex en plein Paris et Gael Garcia Bernal à l’intérieur du palais, vous auriez fait quoi, à sa place ? Elle a grimpé comme elle aurait monté les marches en pierre du pavillon familial, et elle vous garantit qu’elle les connaissait par cœur, ces marches.
Le hic, c’est que les marches en pierre étaient hautes. Les marches du Festival de Cannes, beaucoup moins. Et dans 10 ans, quand elle reverra les vidéos, elle souffrira. Parce que cet à-coup à chaque pas, quand son pied cherchait une marche qui se trouvait plusieurs centimètres plus bas, l’a forcée à s’accrocher en mode ventouse à son réalisateur. Ce qui aurait encore pu passer, si une fois arrivée tout en haut, tétanisée par l’horreur, elle avait remarqué, justement, qu’elle était arrivée tout en haut. Mais non. Son pied s’est levé, a cherché, et cette fois le sol se trouvait vingt bons centimètres plus bas, ce que ses Louboutin n’ont pas supporté. Ni la traîne de sa robe de soirée quand elle s’est écroulée sur son réalisateur. La seule bonne nouvelle, c’est qu’elle est à la Une de tous les journeaux, et que Gael Garcia Bernal en personne est venue signer son plâtre.