Source image : CC by Alessandro Valli “Girl in Port”
Vous vous dites qu’elle est bien, là, Marie, avec son amour de chat pelotonné dans le cou. Vous vous dites que c’est trop mignon et que ce minou est adorable, qu’il doit être vraiment câlin et que si vous aviez eu un chat avec vous pour la Saint Valentin, vous vous seriez sentie beaucoup moins seule. Mais vous vous dites aussi que quand même le chat dans le lit, ce n’est pas très hygiénique, et voilà au moins un point sur lequel Marie serait d’accord avec vous, parce que c’est tout ce qu’il y a de vrai dans cette image.
La vérité ? La vérité, la voilà : Marie a peur des chats. La seule fois de sa vie où elle a décidé de surmonter sa peur des chats, elle a tendu la main à un adorable matou tigré qui pour la remercier, lui a collé une baigne avec les griffes. Elle devait refaire sa carte d’identité le lendemain. Inutile de vous dire que combattre sa phobie prend une toute autre tournure, lorsque le rappel de votre cuisante défaite s’affiche aux yeux du monde chaque fois vous que vous sortez votre carte d’identité. Marie a opté pour la solution la plus logique : elle a attendu que les blessures cicatrisent, utilisant pieusement ses photos balafrées pour se souvenir que le chat est une créature démoniaque, et scrupuleusement évité depuis tout représentant du genre.
Sauf que. Sauf que la semaine dernière, c’était la Saint Valentin et que Marie a décidé de faire sa fête à son homme, histoire de lui célébrer la virilité. Non, elle n’a pas acheté de chat, elle n’est pas masochiste, et d’ailleurs Doudou n’a jamais réclamé de chat. Elle a investi dans une petite chose en dentelle rouge avec porte-jarretelles assorti, porte-jarretelle que Doudou aurait dû arracher avec les dents si tout s’était déroulé correctement. Ce qui vous le savez, arrive rarement.
Il était donc dix-neuf heures, le dîner était au four, les roses sur la table et le string bien en place, lorsque Marie s’est nonchalamment glissée entre les draps. Investie du Pouvoir de la Femme, la séduction dans les starting-blocks et le brushing ravageur. Une machine à emballer. Sans doute aurait-elle dû se douter au premier texto de Doudou que son plan prenait l’eau mais que voulez-vous, le Pouvoir de la femme ! Confiante, sûre d’elle, détendue, elle a pris un livre et rallumé la lumière. Il était en retard, bon. Il ramerait un peu plus pour croquer le porte-jarretelles, voilà tout.
Il était très en retard. Dossier urgent, ribambelles d’excuses, textos coquins ou pas, la libido de Marie n’a pas fait long feu. Elle était au chaud, allongée et bien qu’une ficelle entre les fesses, plutôt à son aise. Elle n’est qu’humaine, elle s’est endormie. Comme ça. En string. Sous le drap. Le dîner dans le four et la fenêtre de la cuisine entrouverte.
C’est à vingt-et-une heures qu’elle s’est réveillée, toute contente de sentir la barbe de Doudou sur sa joue, papillonnant des cils, le sourire hésitant parce que quand même, si Doudou ronflait c’est qu’il s’était endormi, et ce n’était pas tout à fait le résultat escompté, voilà ce qu’elle a pensé avant d’hurler. Ou d’essayer, puisque lorsque son œil vitreux a croisé une prunelle vicieuse, elle a compris que ce n’était pas Doudou. Ça ne ronflait pas, ça ronronnait, calé au creux de son cou. Marie n’a pu que constater, Les yeux écarquillés et l’haleine féline en pleine face. Satan avait fait son nid.
Elle a eu beau refermer la bouche aussi sec, c’était trop tard, la bête était réveillée et apparemment décidée à se faire les griffes dans son brushing. Une, deux, une, deux, griffe, crâne, griffe, crâne. Ne pas bouger, ne pas cligner, ne pas respirer. Marie a crachoté discrètement les poils atterrissant sur sa langue puis s’est contentée de ne pas bouger, puisque cligner et respirer, ça n’a pas l’air comme ça mais c’est utile. Doudou allait arriver. Il allait la sauver.
Ne pas bouger. La chevelure de Marie toujours immobile est passée de la soie liquide aux grumeaux de pâte à crêpes. Ne pas bouger. La bête a escaladé son torse, parcouru son ventre, lui malaxant la chair des griffes, perçant au passage le drap et la dentelle du porte-jarretelles. Ne pas bouger. Etrangement, c’est moins facile que ça ne parait. Une légère odeur de grillé –non, pardon, une forte odeur de carbonisé– est arrivée aux narines frémissantes de Marie. Ne pas bouger, d’accord, mais pleurer, ça n’est pas bouger. Le smoky sexy de Marie a migré sur ses joues, ce que le suppôt de Satan a aussitôt tenté de compenser à coups de lippe râpeuse. Gommage gratuit. Merci.
Il était vingt-deux heures trente lorsque la clé a tourné dans la serrure, en bas. Marie dérivait donc depuis une heure trente dans un monde de catatonie musculaire, de monstres poilus et de crise d’hystérie rampante. Le fauve avait repris sa place dans son cou et elle se demandait si le gel douche à la papaye jouait un rôle quelconque dans la chose. Si bien que lorsque Doudou a déboulé dans la chambre, là, Marie a… comment dire…
Bon, mais mettez-vous à sa place, aussi. Il arrive avec deux heures trente de retard le soir de la Saint Valentin. Il la trouve en larmes dans leur lit, une bête sauvage assise sur la jugulaire. Est-ce-qu’il la libère ? Est-ce-qu’il lui dit combien elle est belle, avec son brushing emmêlé et son smoky dégoulinant ? Est-ce-qu’il se répand en excuses, au moins ? Rien de tout ça. Il sort son téléphone et immortalise la scène, hilare.
Alors vous comprenez. Vous comprenez que Marie, subitement libérée par sa fureur, ait empoigné le monstre poilu pour l’expédier sur Doudou toutes griffes dehors. Vous comprenez qu’elle ait arraché son porte-jarretelles pour le fourrer dans la bouche de Doudou avant de vider le gel douche à la papaye dans son pantalon. Vous comprenez qu’elle se soit carapatée à onze heures du soir en string et jogging, tignasse de caniche et œil de raton laveur, ignorant l’épaisse fumée dans la cuisine pour aller ruiner la Saint Valentin de sa sœur et de son beau-frère. Vous comprenez, non ?