Tu verras, qu’il a dit, on va bien s’amuser. Fais-moi confiance, qu’il a dit. Qu’est-ce-qui pourrait arriver ? Qu’il a demandé. Ludmilla a la réponse. Elle ne l’avait pas il y a tout juste une heure mais là juré, elle sait. Elle va lui raser les jambes au couteau à beurre. Non, peut-être pas les jambes. Voyons, qu’est-ce-qu’elle pourrait bien raser au couteau à beurre, qui soit particulièrement sensible et muni d’un système pileux totalement inutile ?
Et ne lui dites surtout pas qu’elle pourrait occuper son temps mieux que ça, Ludmilla pourrait bien démarrer au quart de tour. Elle est un peu à fleur de peau, là. Juste un peu. Parce que si vous vous imaginez qu’elle est en train de lessiver le sol avec son La Perla ou de ramper langoureusement en direction de sa douce moitié, vous vous fourrez le doigt dans l’œil jusqu’à l’épaule. Voilà. C’est dit.
Alors quid de cette étrange position ? Lui demanderez-vous. Ludmilla vous répondra poliment qu’elle est quiche. Tout simplement. Et en même temps, qui verrait venir l’entourloupe avec un Monopoly ? A sa place, vous seriez exactement dans la même situation, mais reprenons du début.
Ludmilla était de corvée de baby-sitting. Ou d’ado-sitting, plutôt, puisque son neveu, à treize ans, n’a plus rien d’un baby, soyons lucides, il a même du poil aux pattes. D’où la supposition qu’il en est également doté ailleurs, mais bref. Treize ans, c’est un drôle d’âge, entre Youporn et Captain America, Ludmilla est un peu larguée. Elle ne sait pas trop quoi lui dire, à son neveu, surtout quand on lui demande de le garder sans qu’il le sache puisqu’il s’estime assez grand pour rester seul. Ce que Ludmilla aurait volontiers soutenu, une heure plus tôt.
Sauf qu’une heure plus tôt, elle déboulait fraîche et pimpante chez sa sœur, faussement surprise de trouver son neveu esseulé. Grandiose, qu’elle a été. Mince, ta mère n’est pas là ? Zut alors c’est qu’il pleut, ça t’ennuie si je reste ici quelques heures ? C’est avec un certain soulagement qu’elle l’a vu disparaître en direction de sa chambre, beaucoup moins de soulagement qu’elle l’a vu en revenir avec un Monopoly sous le bras. Monopoly ? On joue encore au Monopoly, à treize ans avec du poil aux pattes ?
Il a dit, de ce qu’elle a décodé dans son langage étrange de jeune branché, qu’il s’emm*** comme un rat mort dans cette piaule de m***, et que tant qu’à se faire ch***, autant se faire ch*** ensemble. Ludmilla en a déduit qu’il avait le béguin pour elle. Non ? Si. Bon. Elle était là pour polir son auréole, va pour le Monopoly. Elle s’est installée sur le tapis et a fait appel à toutes ses notions de zénitude.
C’est à la moitié du jeu que ce cher neveu a eu l’idée du siècle. Des gages. Vas-y fais pas ta vioque. On va pimenter un peu le truc sinon c’est trop la loose. Ludmilla en a déduit qu’il allait tenter de l’emballer, et elle cherchait déjà comment lui expliquer sa profonde amitié quand il est revenu avec des menottes, un portefeuille et une bouteille de vodka. Là, elle a flippé. Des gages ? Comment ça des gages ? Les menottes pour la prison et la cagnotte des courses de tes parents ? Non mais t’as pété les plombs, Jean-Eudes ? Ça sort d’où, ces menottes ? Et la vodka ça va pas, t’as treize ans !
Oui, elle est passée pour une vieille ringarde. Et elle s’est sentie très vieille, d’ailleurs. A treize ans, elle fabriquait des bracelets brésiliens, elle. Elle ne descendait pas de la vodka au Monopoly avec les menottes de ses parents puisque oui, apparemment, Jean-Eudes connait toutes les cachettes d’accessoires érotiques de ses parents, voilà pourquoi on ne laisse pas un ado de treize ans seul chez soi. C’est une fouine.
Toujours est-il que dans un dernier sursaut pour éviter à sa sœur de retrouver la chair de sa chair imbibée de vodka sur des billets de banque, elle a accepté les menottes. Oui, elle aussi elle trouve ça idiot, maintenant. Puisqu’il ne lui a pas fallu deux minutes pour passer par la case prison et se faire menotter au radiateur par son neveu. Menotter la cheville quand même, elle n’est pas stupide. Pas que. Bref. Neveu qui au premier texto d’un pote enfin disponible, s’est contenté de lancer y a Brice qu’est rentré, je m’arrache, avant de lui jeter les clés des menottes et de claquer la porte avec la cagnotte des courses.
Respire, Ludmilla. Attrape ces clés et va le chercher par le fond du slim. Sitôt dit sitôt fait, Ludmilla a tendu la main, balayé la bouteille de vodka qui a roulé sur le tapis, embarquant les clés sous le canapé. Voilà donc tata menottée au radiateur de sa sœur, loin des clés et dans une mouise profonde, avouons-le. Mais ce n’est pas fini. Non, parce que ce genre de poisse ne déferle jamais en solitaire, elle ramène toujours les copines.
Ludmilla s’est décollée du radiateur avec un soupir, prête à ramper pour aller chercher les clés – très optimiste, d’ailleurs, vu la distance. Et lorsqu’elle s’est décollée du radiateur, il y a eu un crac. Ou plutôt, un long ccrriiiiccchhhhht, lorsque sa jolie chemise en soie est restée accrochée à l’écharde de peinture sur laquelle elle s’était opportunément épinglée, la garce. Respire, Ludmilla. Assez d’optimisme, sois réaliste. Et réfléchis donc à ce que tu vas raconter à ta frangine quand elle va rentrer et qu’elle te trouvera en soutif, la chemise déchirée, menottée au radiateur dans son salon. Sans son fils, vagabondant avec un certain Brice et la cagnotte des courses. Et probablement bourrée, puisque dans deux heures tu seras déshydratée et que tu auras attaqué la vodka.