Source image : CC LicencePaternité Certains droits réservés par Ovidiu Onea sur Flickr
Ah, le mois de mai. Elle a ressorti ses cartons d’été fin avril, Iris, elle était au taquet, elle s’était fait les ongles de pied et un balayage effet soleil, elle avait commencé l’autobronzant un mois plus tôt, préparé ses vernis fluo et son gloss irisé, aligné ses ballerines, sandales et tongs proprement devant le dressing. Pire, elle avait rangé ses pulls, bottes et imperméables. Avec les affaires d’hiver. Dans un carton. Dans le grenier, sur la troisième étagère en haut à gauche, celle qu’elle ne peut atteindre qu’avec un tiers de plus d’1m80 ou un escabeau très dangereux.
Ah si, dangereux. La preuve, quand elle a rangé ses affaires d’hiver, elle s’est foulé la cheville. C’est qu’en tongs, les marches étaient glissantes. Du coup elle a tout rangé, elle ne peut rien ressortir, et vous avez jeté un coup d’œil, là dehors ? Il fait beau, pour un mois de mars, non ? Parce que voilà presque trois semaines qu’Iris trimballe son entorse en ballerines sous la pluie et très franchement, ça la rend un poil bougonne. Voire carrément anti sociale.
Alors non, en ce jeudi d’Ascension, elle n’avait pas la moindre envie de sympathiser/discuter/aider/abriter/se montrer charitable avec un être vivant, fut-il humain ou animal. Vraiment pas. C’est que le matin, quand elle s’était levée, il faisait beau. Beau, comme dans joli mois de mai, fais valser les manches. Iris est peut-être bougonne, mais elle est toujours très optimiste, elle a fait valser les manches. Elle a roulotté le bas de son jean, enfilé ses nu-pieds, attrapé chapeau et lunettes de soleil et en avant les rayons, à moi les UV.
Une heure plus tard, elle retrouvait sa copine Mumu dans un parc, un joli parc bien vert avec ses jolis bancs et ses jolies pelouses. Ses pavés luisants de pluie, aussi. Adieu soleil, bonjour rafales, il n’a pas fallu bien longtemps à Iris pour comprendre que même à l’abri dans un café avec Mumu, elle risquait l’amputation des orteils. C’était quoi, le plan B ? Trop loin de chez elle, rendez-vous pour déjeuner dans une heure, le chapeau en boule dans son sac et le jean depuis longtemps déroulé sur les tongs. Plus qu’une solution, a doctement annoncé Mumu. Le shopping.
Oui. Et le shopping un jour férié, c’est bien connu, y a pas mieux, c’est plus ou moins ce qu’a riposté Iris – quoiqu’avec un poil moins de tact – quand elle s’est retrouvée dans une échoppe pour touriste non achalandée depuis une dizaine d’années, à en juger par la poussière. Avec le volume de la radio niveau sonotone et une lumière électrique de bloc opératoire. Au moins c’est ouvert, fais pas ta grognasse, lui a ordonné Mumu.
Et effectivement, il y avait des ballerines, dans un coin sous une étagère et couvertes de poussière, c’était ça ou le rhume de fesses, Iris a fait contre mauvaise fortune bon cœur et attrapé son graal. Ses orteils fripés se sont aussitôt recroquevillés de bonheur sous la croûte de cuir. Enfin, de cuir… bref. Toute émoustillée par le retour à la vie de ses extrémités inférieures, Iris s’est enhardie. Elle a réclamé au vendeur – si vous avez lu Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, vous avez une idée de son look - un pull, ou un gilet, ou une chemise, ou un poncho, ou un manteau. Elle était prête à sacrifier son loyer pour une couverture de survie.
Quand le vieux a hoché la tête et plongé la main dans un tiroir branlant, Iris a senti ses épaules frémir sous les fines bretelles de son débardeur trempé. Ô, joie, de quoi chauffer ses omoplates. Et puis le vieux a ouvert des papiers de soie sur le comptoir de bois, et Iris a hoqueté. Hoqueté seulement, vu que Mumu lui a collé une claque sur le crâne avant qu’elle n’éclate de rire. Puisque les boléros au crochet qu’elle avait sous les yeux, il était tout à fait envisageable que la femme du vieux les ait crochetés elle-même.
Respire, a soufflé Mumu. C’est la seule boutique ouverte. T’auras qu’à en mettre trois. Iris n’a pas moufté. Après tout, une journée pourrie de plus ou de moins… elle finirait bien par s’achever, non ? Du coup, elle s’est dit qu’au point où elle en était, elle n’avait plus rien à perdre. Oui, elle avait envisagé de séduire son rencard de déjeuner. Bon. Si elle pouvait faire la paix avec l’idée de la pneumonie, elle n’aurait qu’à balancer le boléro juste avant le rencard, remonter son jean, et… bref !
Là n’était pas le sujet. Dans l’immédiat le sujet, c’était traverser le parc pour ledit rencard sans sacrifier ce qui restait de son brushing, Iris a donc hardiment réclamé un parapluie. Dans les années 50, on faisait déjà des parapluies, non ? Le vieux a réfléchi. Ça lui a pris un certain temps. Puis il a pointé un coin, là-bas, à côté d’une armoire. Et Iris y a vu la survie de son brushing sous la forme d’un énorme parapluie noir. Poussiéreux, mais parapluie, tout est une question de priorités, dans la vie.
La migraine à deux doigts du cerveau sous les assauts de la radio qu’elle couvrait en hurlant depuis son entrée, Iris a senti pointer l’overdose. Il était temps. Elle a attrapé le parapluie, vidé son porte-monnaie, fourré ses tongs et un boléro de rechange - vert, soyons fous - dans son sac avant de se carapater fissa, Mumu sur les talons. Combien de temps ont-elles marché, comme ça, à travers le parc humide, parapluie fermé à bout de bras ? Allez. Dix minutes, à tout casser, avant que ne s’abatte une nouvelle averse.
Confiante, Iris a donc posé la pointe du parapluie sur le bitume le temps de maîtriser le système d’ouverture. C’est là qu’elle a constaté. Le parapluie bougeait. Elle l’a même constaté au moment exact où elle actionnait l’ouverture, et où l’immense parapluie noir s’est déployé comme un saladier, exposant à l’averse sa cargaison de souriceaux paniqués.
Mumu est partie en hurlant. Iris, elle, est restée là, très, très ennuyée. C’est qu’elle aime les animaux. Il pleut. Elle ne voudrait pas que ces minuscules bestioles se noient. Elle ne voudrait pas que leur mère ne les trouve pas à son retour, non plus, elle ne voudrait pas refermer le parapluie et les coincer dans les baleines, elle ne voudrait pas qu’ils en sortent et se perdent. Mais elle ne voudrait pas, non plus, pousser le dévouement jusqu’à les toucher. Et elle n’est pas tout à fait certaine que le vieux du magasin veuille récupérer ses souriceaux. Elle reste donc là, le brushing exposé sur son boléro au crochet, cherchant comment infiltrer incognito des souriceaux dans un magasin avec un parapluie ouvert et sans y toucher. Sûr que quand Mumu aura réussi à descendre du banc sur lequel elle est perchée, elle l’aidera à trouver.
Ah si, dangereux. La preuve, quand elle a rangé ses affaires d’hiver, elle s’est foulé la cheville. C’est qu’en tongs, les marches étaient glissantes. Du coup elle a tout rangé, elle ne peut rien ressortir, et vous avez jeté un coup d’œil, là dehors ? Il fait beau, pour un mois de mars, non ? Parce que voilà presque trois semaines qu’Iris trimballe son entorse en ballerines sous la pluie et très franchement, ça la rend un poil bougonne. Voire carrément anti sociale.
Alors non, en ce jeudi d’Ascension, elle n’avait pas la moindre envie de sympathiser/discuter/aider/abriter/se montrer charitable avec un être vivant, fut-il humain ou animal. Vraiment pas. C’est que le matin, quand elle s’était levée, il faisait beau. Beau, comme dans joli mois de mai, fais valser les manches. Iris est peut-être bougonne, mais elle est toujours très optimiste, elle a fait valser les manches. Elle a roulotté le bas de son jean, enfilé ses nu-pieds, attrapé chapeau et lunettes de soleil et en avant les rayons, à moi les UV.
Une heure plus tard, elle retrouvait sa copine Mumu dans un parc, un joli parc bien vert avec ses jolis bancs et ses jolies pelouses. Ses pavés luisants de pluie, aussi. Adieu soleil, bonjour rafales, il n’a pas fallu bien longtemps à Iris pour comprendre que même à l’abri dans un café avec Mumu, elle risquait l’amputation des orteils. C’était quoi, le plan B ? Trop loin de chez elle, rendez-vous pour déjeuner dans une heure, le chapeau en boule dans son sac et le jean depuis longtemps déroulé sur les tongs. Plus qu’une solution, a doctement annoncé Mumu. Le shopping.
Oui. Et le shopping un jour férié, c’est bien connu, y a pas mieux, c’est plus ou moins ce qu’a riposté Iris – quoiqu’avec un poil moins de tact – quand elle s’est retrouvée dans une échoppe pour touriste non achalandée depuis une dizaine d’années, à en juger par la poussière. Avec le volume de la radio niveau sonotone et une lumière électrique de bloc opératoire. Au moins c’est ouvert, fais pas ta grognasse, lui a ordonné Mumu.
Et effectivement, il y avait des ballerines, dans un coin sous une étagère et couvertes de poussière, c’était ça ou le rhume de fesses, Iris a fait contre mauvaise fortune bon cœur et attrapé son graal. Ses orteils fripés se sont aussitôt recroquevillés de bonheur sous la croûte de cuir. Enfin, de cuir… bref. Toute émoustillée par le retour à la vie de ses extrémités inférieures, Iris s’est enhardie. Elle a réclamé au vendeur – si vous avez lu Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, vous avez une idée de son look - un pull, ou un gilet, ou une chemise, ou un poncho, ou un manteau. Elle était prête à sacrifier son loyer pour une couverture de survie.
Quand le vieux a hoché la tête et plongé la main dans un tiroir branlant, Iris a senti ses épaules frémir sous les fines bretelles de son débardeur trempé. Ô, joie, de quoi chauffer ses omoplates. Et puis le vieux a ouvert des papiers de soie sur le comptoir de bois, et Iris a hoqueté. Hoqueté seulement, vu que Mumu lui a collé une claque sur le crâne avant qu’elle n’éclate de rire. Puisque les boléros au crochet qu’elle avait sous les yeux, il était tout à fait envisageable que la femme du vieux les ait crochetés elle-même.
Respire, a soufflé Mumu. C’est la seule boutique ouverte. T’auras qu’à en mettre trois. Iris n’a pas moufté. Après tout, une journée pourrie de plus ou de moins… elle finirait bien par s’achever, non ? Du coup, elle s’est dit qu’au point où elle en était, elle n’avait plus rien à perdre. Oui, elle avait envisagé de séduire son rencard de déjeuner. Bon. Si elle pouvait faire la paix avec l’idée de la pneumonie, elle n’aurait qu’à balancer le boléro juste avant le rencard, remonter son jean, et… bref !
Là n’était pas le sujet. Dans l’immédiat le sujet, c’était traverser le parc pour ledit rencard sans sacrifier ce qui restait de son brushing, Iris a donc hardiment réclamé un parapluie. Dans les années 50, on faisait déjà des parapluies, non ? Le vieux a réfléchi. Ça lui a pris un certain temps. Puis il a pointé un coin, là-bas, à côté d’une armoire. Et Iris y a vu la survie de son brushing sous la forme d’un énorme parapluie noir. Poussiéreux, mais parapluie, tout est une question de priorités, dans la vie.
La migraine à deux doigts du cerveau sous les assauts de la radio qu’elle couvrait en hurlant depuis son entrée, Iris a senti pointer l’overdose. Il était temps. Elle a attrapé le parapluie, vidé son porte-monnaie, fourré ses tongs et un boléro de rechange - vert, soyons fous - dans son sac avant de se carapater fissa, Mumu sur les talons. Combien de temps ont-elles marché, comme ça, à travers le parc humide, parapluie fermé à bout de bras ? Allez. Dix minutes, à tout casser, avant que ne s’abatte une nouvelle averse.
Confiante, Iris a donc posé la pointe du parapluie sur le bitume le temps de maîtriser le système d’ouverture. C’est là qu’elle a constaté. Le parapluie bougeait. Elle l’a même constaté au moment exact où elle actionnait l’ouverture, et où l’immense parapluie noir s’est déployé comme un saladier, exposant à l’averse sa cargaison de souriceaux paniqués.
Mumu est partie en hurlant. Iris, elle, est restée là, très, très ennuyée. C’est qu’elle aime les animaux. Il pleut. Elle ne voudrait pas que ces minuscules bestioles se noient. Elle ne voudrait pas que leur mère ne les trouve pas à son retour, non plus, elle ne voudrait pas refermer le parapluie et les coincer dans les baleines, elle ne voudrait pas qu’ils en sortent et se perdent. Mais elle ne voudrait pas, non plus, pousser le dévouement jusqu’à les toucher. Et elle n’est pas tout à fait certaine que le vieux du magasin veuille récupérer ses souriceaux. Elle reste donc là, le brushing exposé sur son boléro au crochet, cherchant comment infiltrer incognito des souriceaux dans un magasin avec un parapluie ouvert et sans y toucher. Sûr que quand Mumu aura réussi à descendre du banc sur lequel elle est perchée, elle l’aidera à trouver.