Quand on s’appelle Hortense, soit on se laisse pousser la moustache sur un cardigan qui gratte, soit on prend le contre-pied. Parce qu’elle en avait marre de se faire bombarder de pudding à la récré, elle a choisi le contre-pied : un bon sens de l’observation, quelques années de maturation et aujourd’hui, elle en remontre au plus cynique des dépressifs avec ses réparties au vitriol.
La vie toute entière d’Hortense est affaire de compensation. Elle a compensé son prénom par la logorrhée argotique d’Eminem, la logorrhée par le look émerveillé de Mon Petit Poney et le look par des culottes en coton noir à tête de mort dignes d’une ado gothique. Son maquillage est noir et ses cheveux roses, son collier clouté et ses chaussettes en dentelle. Elle s’est arrêtée là puisque l’étape suivante, c’étaient les Tampax à la barbe à papa.
Alors c’était évident, que les sites de rencontres ne sont pas faits pour elle. N’importe quel mec déduirait de son profil une personnalité un brin schizophrène, voire carrément flippante, et il n’aurait pas complètement tort. Ceci dit, lui a objecté Lucie, ils font pareil quand tu leur parles. Tu te pointes en dentelle et crinière dragée, ils pensent donzelle soumise et dîners fins, ils reçoivent vannes en rafale et surgelés, forcément les pauvres, ils sont perdus. Au moins avec un profil détaillé, ceux qui s’y frotteront sauront à quoi s’attendre.
Le raisonnement devait receler une certaine logique, puisqu’Hortense s’est laissée convaincre : elle a laissé Lucie lui mitonner un profil, comment dire, détonnant, puis confirmé vingt fois que oui, c’est bien elle sur la photo et que oui, elle aime les films d’horreur de série B. Que non, elle n’est pas bizarre. Elle est unique et qu’ils aillent se faire tailler les poils par Freddy Krueger si ça ne leur plait pas.
Étonnamment, l’un deux a franchi les étapes. Comme un spermatozoïde visant l’ovule, il a résisté, lutté, argumenté, et fatalement quand un homme résiste, lutte et argument simplement pour vous rencontrer, ça intrigue. Quand il a offert de l’emmener voir Requin géant contre crocodile mutant, elle a accepté. Qui pourrait refuser une proposition aussi alléchante ? Il avait vraiment l’air cool, ce type. Elle en avait le palpitant sur un trampoline.
Elle s’est donc apprêtée avec soin, brushing Bisounours et smoky gothique, dentelle blanche et motardes en cuir, et puisqu’elle avait décidé de jouer le jeu, a concédé une ultime concession à Lucie, qui soutenait que déjà, avec le collier clouté, elle affichait la couleur : elle a changé de culotte. Juste pour le cas où l’image du spermatozoïde prendrait corps, qu’il ne lui fasse pas une crise d’angoisse au moment de virer la mousseline. C’est que la tête de mort sur le saint des saints, ça peut refroidir.
Problème : depuis le temps qu’elle revendique le coton noir, son tiroir à merveilles ne recelait pas grand-chose d’autre, et elle n’avait plus le temps pour une virée shopping. Qu’à cela ne tienne, Lucie a déniché sous ses collants arc-en-ciel un vestige de l’adolescence période Lejaby, l’une de ses premières démonstrations d’indépendance, bien avant qu’elle trouve sa voie stylistique. Une adorable petite chose en dentelle bleue. Bleue, ça passe. Hortense a fléchi. Mais il avait intérêt à valoir le coup, Mr Spermato, parce qu’elle ne lui offrirait pas de passe-droit pour autant. Il devrait la mériter, la dentelle bleue.
Voilà. Voilà le cheminement, le pourquoi du comment, l’instrument de sa perte : un site de rencontres et de la dentelle bleue. Enfin, pas vraiment de sa perte, mais… attendez. Qu’elle vous explique, maintenant qu’elle a surmonté. On ne sait pas pour vous mais Hortense, depuis ses dix-sept ans, elle a pris quelques grammes. Quelques centaines, bon. Disons que ses hanches ont plus de relief, et que ses fesses ont joué les radines sur les croissants, elles ont tout gardé. Affublez donc un fessier trentenaire de dentelle pré pubère, et vous comprendrez ce qu’Hortense a subi.
Élastique qui glisse, dentelle qui gratte, couture qui dérape, l’objet du délit ne couvrait pas tout ce qu’il aurait dû couvrir et appelons un chat un chat, la culotte d’Hortense lui rentrait dans la raie. Hortense, familière du coton noir et pas du string invasif, absolument pas armée pour affronter pareille sensation. Hortense qui a donc passé les vingt minutes de trajet à se tortiller sur son siège de métro, avant de mettre la main à la pâte pour replacer la dentelle qui ne l’entendait pas de cette oreille. Ça l’énervait, Hortense. Plus ça l’énervait, moins elle était subtile, et elle attendait Mr Spermato. Ce qui devait arriver est arrivé.
Vous vous dites qu’il l’a surprise en flagrant délit ? Que nenni. Dans un accès de rage, Hortense s’est précipitée dans les toilettes du Mac Do voisin, a retiré l’intruse et l’a fourrée au fond de son sac. Vous vous dites que Mr Spermato a eu un aperçu de la marchandise avant l’heure ? Non plus. Enfin, un peu. Puisque quand il est enfin arrivé, fidèle à sa photo et sexy comme un ZZ Top, elle a sorti la main de son sac pour la lui tendre. A la place, elle lui a tendu la culotte en dentelle bleue accrochée à sa bague.