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Chez elle, il n’y a jamais de neige. Et quand elle dit jamais, Constance, elle veut dire qu’elle pensait, hier encore, avoir autant de chances de faire un bonhomme de neige dans son jardin que de mesurer un jour un mètre quatre-vingt. Alors certes, elle exagère peut-être un tantinet, vu qu’elle vit en France et pas sous les tropiques. Mais chez Constance, il n’y a pas de tempête, pas d’inondations, pas de raz-de-marée ni de tremblement de terre, même pas une bribe de glissement de terrain, même pas une motte qui fait semblant de bouger. Autant vous l’annoncer tout de go : quand on se prénomme Constance dans une région comme celle-ci, on n’est pas vraiment prédestinée à virer aventurière tout-terrain dans les rizières. On serait plutôt du genre à perfectionner son risotto en tablier à dentelle.
Constance ne fait pas mentir son prénom. Elle n’a rien d’une aventurière dans les rizières. Constance aime la constance et tant pis pour le lieu commun, la prévisibilité de son quotidien l’épanouit. Ou presque. Ce « presque » expliquant pourquoi, sans doute, les flocons du front polaire ont eu sur Constance un effet pour le moins dynamique, auquel elle comparerait volontiers, comme ça spontanément, l’ingestion de trois caisses de Guronzan mâtiné de pilules roses.
Le front polaire, c’est ce drôle de truc qui traverse le pays en mode glaçon, semant derrière lui terreur et désolation pour les automobilistes, bonheur et adoration pour les Constance bien trop constantes. Un phénomène météo, selon certains, la fée des neiges poursuivie par Cupidon, selon Constance. Voilà comment, en ce frileux mois de février et à quelques jours de la Saint Valentin, s’est déroulé l’une des joutes amoureuses les plus inattendues qu’ait jamais vu ce calme quartier.
Imaginez bien que ce jour-là, chaque flocon qui tombait, l’un des neurones de Constance rendait l’âme, envoûté par les reflets immaculés de la poubelle transformée en Everest. Le trottoir devenait plaine sauvage, la boîte aux lettre pic escarpé, la banlieue colline assoupie. Tout était plus beau, et Constance étant une fille logique, elle a fini par se demander si, elle aussi, elle ne serait pas plus belle sous la neige. Non que Stabilo, son chat, soit du genre à noter la différence, mais se sentir belle maintient jeune, il parait. Les neurones de Constance avaient plus ou moins atteint le stade de la maternelle. Elle a enfilé ses chaussures les plus chaudes, un manteau bien dodu et ses gants de cachemire avant de s’élancer vers la plaine sauvage, euphorique.
Sa première constatation fut que contrairement aux apparences, les effets de la gravité étaient toujours très présents. Le premier entrechat de Constance, censé flotter sur les flocons, l’a propulsée dans la poubelle-Everest, mais que dire ? Avec la neige, tout est plus beau. Constance s’est relevée sans mollir, a craché la poudreuse et enchaîné sur une série de pas chassés suivis de pirouettes. Sans aucune grâce, mais avec beaucoup d’enthousiasme, et c’est plus ou moins à la quatrième que le projectile l’a heurtée de plein fouet.
Une boule de neige, bien compacte, en plein sur la clavicule. Pourtant, en s’affalant en arrière, Constance n’était pas focalisée sur le choc, loin de là. Plutôt sur son voisin d’en face, le gant enneigé et le sourire satisfait sous le bonnet, dressé de l’autre côté de la rue. Niveau maternelle, on vous l’a dit. Or si notre valeureuse Constance n’est pas des rizières, son risotto est sauvage. Elle s’est donc jetée dans la bataille avec acharnement. Trois secondes pour repeindre l’épaule gauche de son vis-à-vis, trois minutes pour embrasser le mur et trente pour cracher un poumon. Lorsque Constance a bien involontairement anesthésié les attributs royaux du voisinage, elle s’est demandé si ce ne serait pas du flirt, un truc pareil. Il a dû trouver que si, puis qu’il visé la fesse. Et c’est en éjectant de deux boules bien placées le bonnet de l’ennemi, que Constance a nettement senti, sous l’hystérie neigeuse, ses neurones adultes s’agiter quelque part là-dessous.
Vous cherchez l’entourloupe, sans doute. Il n’y en a pas. Les jolies histoires, ça arrive aussi, particulièrement sous le front polaire. En revanche, le blizzard ne chasse pas la poisse, et le romantisme est l’ennemi de l’efficacité. Pourquoi ? Parce qu’emballés par leur joute floconneuse, les organes anesthésiés par le froid mais l’instinct primaire alimenté par la fée des neiges, nos tourtereaux en doudoune ont privilégié la beauté du geste. Constance vous dira que c’est sa faute à lui, pour avoir choisi d’envoyer un message emballé dans son gant et enfoui dans une boule de neige. Oui, c’était mignon. Sauf que même avec le gant, un bout de papier dans une boule de neige, c’est la version hivernale de SnapChat : 10 secondes pour le lire avant que le message ne s’efface.
Lui vous dira sans doute que c’est sa faute à elle, pour avoir décoché une boule de neige à message romantique à l’instant où il traversait la rue, vu qu’il n’avait pas eu le temps d’enregistrer le numéro de téléphone inscrit sur le dernier papier avant dissolution complète. Elle vous répondra que c’est sa faute à lui, pour avoir traversé la rue et donc reçu la boule de beaucoup plus près, entraînant cette réaction en chaîne qui a vu son pied droit surfer sur le verglas et sa main gauche s’envoler en lâchant le téléphone, le tout avec beaucoup d’élan.
Lui objectera probablement que si elle n’avait pas eu d’arbre aussi mal placé dans son jardin, le smartphone à 50€ le centimètre² ne serait pas allé se jucher sur une branche, bien calé dans un amas de neige probablement peu recommandé aux systèmes comme le sien. Elle vous indiquera qu’un portable normal de taille normale ne serait jamais resté coincé là-haut, et que d’ailleurs c’est bien lui qui a insisté pour aller le récupérer, quand même. Il répliquera à coup sûr que si la récupération était son idée, grimper sur une luge piquée dans la cour de Madame Chubinet pour le soutenir ne l’était pas, et que s’il est à blâmer pour l’entorse de Constance, ladite Constance n’est pas moins responsable de l’épaule démise de son voisin. Dans tous les cas, emboîtés avec très peu de constance dans le salon de Constance, ils finiront par vous affirmer sous l’œil perplexe de Stabilo que peu importe le responsable, elle, lui, Cupidon ou la fée des neiges, il mérite un autel de Reblochon couronné de fromage à raclette.