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Oui, bien sûr qu’elle aime la nature, Charlie. Tout le monde aime la nature. Simplement, elle la préfère bien tondue/taillée au cordon/sans bêtes sauvages, ou derrière une fenêtre/une barrière/un écran de TV. C’est comme ça, que voulez-vous, Charlie est citadine, elle l’a toujours été, sa forêt amazonienne à elle, c’est le bouquet de chiendent dans les jointures du trottoir.
Bon. Sauf que vous le savez bien, le destin a un sens de l’humour très douteux. Il a donc fallu que Charlie trouve son Roméo en la personne d’un aventurier écolo amoureux du grand air. Oui. Douteux, on vous l’a dit. Et pourtant, les choses étaient claires dès le départ, puisqu’elle l’a rencontré après avoir marché sur une guêpe à un arrêt de bus : la vicieuse s’était faufilée entre son pied et sa sandale. Roméo fut le seul à oser s’approcher, tandis que Charlie expliquait les poings au ciel et à cloche-pied à quel point la bête ferait moins la maline quand on lui aurait bétonné la ruche. Apparemment, s’il est une chose que Roméo aime encore plus que la nature, c’est l’humour.
Charlie ne plaisantait pas vraiment, rapport au bétonnage. Sauf que c’était il y a cinq ans. Et que depuis cinq ans, à cause de cette idée absurde mais efficace de compromis dans le couple, elle a campé au Mexique et crapahuté dans les rizières du Cambodge. Elle a touché une vache, foulé des algues, papouillé un panda et laissé son ADN sur un corail agressif. Comme quoi l’amour, ça vous fait vraiment faire n’importe quoi, et avec le sourire qui plus est.
Alors forcément, quand il a sorti les billets d’avion, son cerveau a joué la même musique que toutes les fois précédentes. Nan, j’veux pas y aller ! Mais c’est joli. Oui mais ça pique ça mord ça pue ça grimpe ! Oui mais c’est lui et toi seuls au monde. Là, s’enclenche en principe la fonte totale des neurones de Charlie en mélasse amoureuse. Elle dit oui, elle dit merci, il dit plein de jolies choses et elle en oublie qu’elle va probablement marcher pieds nus sur tout un tas d’insectes répugnants parce que c’est ce qui arrive quand on patauge dans la nature, même quand on est amoureux.
Et voilà. Charlie en Australie, prête à pas grand-chose mais en mode je-l’aime-je-lâche-prise, la valise garnie de sparadrap, mercurochrome et divers répulsifs à insectes géants. Vous le saviez, ça ? Il parait que l’Australie, c’est Jurassic Park. C’est vous dire si Charlie se sentait épanouie, quand les neurones en plein jet-lag, elle a suivi Roméo dans la broussaille.
Broussaille qui grimpe, sachez-le, inutile de vous dire que Charlie était d’humeur badine, entre la sueur dans son dos et les vibrations dans ses genoux. Rocaille de mes deux, qu’elle pensait. Oh que c’est beau, qu’elle disait. Dégage sale bête, qu’elle grognait. Je dis comme il est mignon, qu’elle mentait. Heureusement - ou pas – Roméo connait sa donzelle. Allez savoir pourquoi ça l’amuse et plus elle grince, plus il rit. Ce type n’est pas normal.
C’est donc par pure bonté d’âme, supposera-t-elle plus tard, qu’il a suggéré une pause. Charlie s’est contentée d’avancer jusqu’au bord, genre même pas mal même pas peur on fait une pause si tu veux mais moi ça gaze, et Roméo a ri un peu plus fort. Ça l’a agacée, Charlie. Forcément. Est-ce-ce que ça ne vous agace pas, quand vous avez envie de faire sauter l’appartement et que votre moitié considère votre fureur comme l’évènement le plus drôle de la journée ?
Charlie, si, mais rassurez-vous, elle se contrôle. Elle s’est contentée de lui relâcher un branchage dans les yeux l’air de rien, et la réaction de Roméo fut tout sauf écolo, incluant perturbation de l’unité sonore à coups de très vilains mots ou arrachage dudit branchage avec piétinement de ses tendres bourgeons. Ah, il rigolait moins, le Roméo, il en avait même l’œil droit qui pleurait. Charlie s’est sentie un tantinet coupable, elle n’avait pas prévu de fouetter si fort, en fait, mais que voulez-vous, en Australie, tout est plus grand, plus fort, plus dur. Sauf l’œil de Roméo. D’ailleurs bien que mimant à merveille la femme éplorée, elle était soulagée qu’il ait cessé de rire, Charlie. Elle se sentait beaucoup moins agacée.
Lui, en revanche… bon, elle l’avait cherché. Un peu. Mais il avait commencé. Ou elle ? Allez savoir. Le problème dans un couple, c’est qu’au bout d’un moment on a du mal à remonter à la source. Mais puisque Roméo insistait pour s’assécher la pupille en solo, soulignant qu’elle l’avait fait exprès et que vraiment parfois elle pouvait être aussi pénible qu’un babouin en couches (oui, Roméo a l’insulte bio), Charlie a jugé plus sage de s’éloigner. C’est que plus vous niez, moins c’est crédible, mieux valait jouer la dignité outragée. Elle lui a tourné le dos.
Alors certes, c’était beau. Ils surplombaient un lac, carrément, carte postale et tout et tout, une honte tellement c’était joli. Si seulement on lui avait bitumé le chemin et égalisé la broussaille, Charlie aurait été la plus heureuse des femmes. Encore que même là, à mesure que ses muscles cessaient leur parodie de Parkinson, elle se sentait gagnée par la magie de la chose, presque prête à ignorer la colonie de fourmis qui tournaient autour de ses chaussures, élaborant un plan pour s’emparer de la forteresse.
Derrière elle, Roméo reniflait. Laisse-lui le temps de se remettre, Charlie. Agis comme si tu étais innocente. Elle a étendu les bras, la mine extatique, pour lui prouver à quel point elle pouvait savourer toute cette verdure grouillante sans mesquinerie, et c’est là. C’est là qu’il a dit bon sang Charlie tu m’as pas raté, ça pleure, je vois rien et je trouve pas les…
Crac. Cri. Elle comprendra plus tard que la vue brouillée par les larmes et cherchant désespérément des mouchoirs, Roméo s’est mangé une racine. A trébuché, vacillé, tenté de se rattraper, s’est raccroché à la première ancre possible, autrement dit Charlie, qui n’a eu le temps que de tourner la tête avant de basculer dans le vide enlacée à Roméo. Ce qui aurait pu être très romantique, si elle n’avait pas fait un plat.
Bon. Sauf que vous le savez bien, le destin a un sens de l’humour très douteux. Il a donc fallu que Charlie trouve son Roméo en la personne d’un aventurier écolo amoureux du grand air. Oui. Douteux, on vous l’a dit. Et pourtant, les choses étaient claires dès le départ, puisqu’elle l’a rencontré après avoir marché sur une guêpe à un arrêt de bus : la vicieuse s’était faufilée entre son pied et sa sandale. Roméo fut le seul à oser s’approcher, tandis que Charlie expliquait les poings au ciel et à cloche-pied à quel point la bête ferait moins la maline quand on lui aurait bétonné la ruche. Apparemment, s’il est une chose que Roméo aime encore plus que la nature, c’est l’humour.
Charlie ne plaisantait pas vraiment, rapport au bétonnage. Sauf que c’était il y a cinq ans. Et que depuis cinq ans, à cause de cette idée absurde mais efficace de compromis dans le couple, elle a campé au Mexique et crapahuté dans les rizières du Cambodge. Elle a touché une vache, foulé des algues, papouillé un panda et laissé son ADN sur un corail agressif. Comme quoi l’amour, ça vous fait vraiment faire n’importe quoi, et avec le sourire qui plus est.
Alors forcément, quand il a sorti les billets d’avion, son cerveau a joué la même musique que toutes les fois précédentes. Nan, j’veux pas y aller ! Mais c’est joli. Oui mais ça pique ça mord ça pue ça grimpe ! Oui mais c’est lui et toi seuls au monde. Là, s’enclenche en principe la fonte totale des neurones de Charlie en mélasse amoureuse. Elle dit oui, elle dit merci, il dit plein de jolies choses et elle en oublie qu’elle va probablement marcher pieds nus sur tout un tas d’insectes répugnants parce que c’est ce qui arrive quand on patauge dans la nature, même quand on est amoureux.
Et voilà. Charlie en Australie, prête à pas grand-chose mais en mode je-l’aime-je-lâche-prise, la valise garnie de sparadrap, mercurochrome et divers répulsifs à insectes géants. Vous le saviez, ça ? Il parait que l’Australie, c’est Jurassic Park. C’est vous dire si Charlie se sentait épanouie, quand les neurones en plein jet-lag, elle a suivi Roméo dans la broussaille.
Broussaille qui grimpe, sachez-le, inutile de vous dire que Charlie était d’humeur badine, entre la sueur dans son dos et les vibrations dans ses genoux. Rocaille de mes deux, qu’elle pensait. Oh que c’est beau, qu’elle disait. Dégage sale bête, qu’elle grognait. Je dis comme il est mignon, qu’elle mentait. Heureusement - ou pas – Roméo connait sa donzelle. Allez savoir pourquoi ça l’amuse et plus elle grince, plus il rit. Ce type n’est pas normal.
C’est donc par pure bonté d’âme, supposera-t-elle plus tard, qu’il a suggéré une pause. Charlie s’est contentée d’avancer jusqu’au bord, genre même pas mal même pas peur on fait une pause si tu veux mais moi ça gaze, et Roméo a ri un peu plus fort. Ça l’a agacée, Charlie. Forcément. Est-ce-ce que ça ne vous agace pas, quand vous avez envie de faire sauter l’appartement et que votre moitié considère votre fureur comme l’évènement le plus drôle de la journée ?
Charlie, si, mais rassurez-vous, elle se contrôle. Elle s’est contentée de lui relâcher un branchage dans les yeux l’air de rien, et la réaction de Roméo fut tout sauf écolo, incluant perturbation de l’unité sonore à coups de très vilains mots ou arrachage dudit branchage avec piétinement de ses tendres bourgeons. Ah, il rigolait moins, le Roméo, il en avait même l’œil droit qui pleurait. Charlie s’est sentie un tantinet coupable, elle n’avait pas prévu de fouetter si fort, en fait, mais que voulez-vous, en Australie, tout est plus grand, plus fort, plus dur. Sauf l’œil de Roméo. D’ailleurs bien que mimant à merveille la femme éplorée, elle était soulagée qu’il ait cessé de rire, Charlie. Elle se sentait beaucoup moins agacée.
Lui, en revanche… bon, elle l’avait cherché. Un peu. Mais il avait commencé. Ou elle ? Allez savoir. Le problème dans un couple, c’est qu’au bout d’un moment on a du mal à remonter à la source. Mais puisque Roméo insistait pour s’assécher la pupille en solo, soulignant qu’elle l’avait fait exprès et que vraiment parfois elle pouvait être aussi pénible qu’un babouin en couches (oui, Roméo a l’insulte bio), Charlie a jugé plus sage de s’éloigner. C’est que plus vous niez, moins c’est crédible, mieux valait jouer la dignité outragée. Elle lui a tourné le dos.
Alors certes, c’était beau. Ils surplombaient un lac, carrément, carte postale et tout et tout, une honte tellement c’était joli. Si seulement on lui avait bitumé le chemin et égalisé la broussaille, Charlie aurait été la plus heureuse des femmes. Encore que même là, à mesure que ses muscles cessaient leur parodie de Parkinson, elle se sentait gagnée par la magie de la chose, presque prête à ignorer la colonie de fourmis qui tournaient autour de ses chaussures, élaborant un plan pour s’emparer de la forteresse.
Derrière elle, Roméo reniflait. Laisse-lui le temps de se remettre, Charlie. Agis comme si tu étais innocente. Elle a étendu les bras, la mine extatique, pour lui prouver à quel point elle pouvait savourer toute cette verdure grouillante sans mesquinerie, et c’est là. C’est là qu’il a dit bon sang Charlie tu m’as pas raté, ça pleure, je vois rien et je trouve pas les…
Crac. Cri. Elle comprendra plus tard que la vue brouillée par les larmes et cherchant désespérément des mouchoirs, Roméo s’est mangé une racine. A trébuché, vacillé, tenté de se rattraper, s’est raccroché à la première ancre possible, autrement dit Charlie, qui n’a eu le temps que de tourner la tête avant de basculer dans le vide enlacée à Roméo. Ce qui aurait pu être très romantique, si elle n’avait pas fait un plat.