Elle a paniqué. Ça arrive, non ? Mais à l’autre bout du monde, loin de tout comme ça, elle a moyennement géré les sursauts de son estomac, a fait la première chose qui lui venait à l’esprit, et… et maintenant, soit elle meurt foudroyée dans la seconde, soit elle réactive ses connections neuronales et se sort les doigts du… bon. Vous avez compris le principe.
Voyez-vous, Brigitte est du genre introvertie. Du genre qui a besoin de se préparer psychologiquement avant d’échanger avec son prochain, sous peine de réactions totalement incompréhensibles à l’autre moitié de l’espèce humaine, la moitié qui ne dévisage pas son téléphone, chaque fois qu’il sonne, avec la perplexité angoissée d’un poulpe devant un string. Pas timide, non, rien à voir. Juste un drôle de mélange un poil solitaire, un poil sauvage, un poil cérébrale et un poil inadaptée.
Alors partir seule en vacances en Californie, le bonheur. Se promener, s’imprégner, se cultiver, savourer, fastoche. Se mettre au surf, risqué, avec pour obstacle majeur le stade larvaire de son développement musculaire. Sauf qu’à Rome, fais comme les romains, Brigitte s’est dit qu’elle devait bien tenter, histoire de faire couleur locale. Et/ou de se rincer l’œil, rapport à la ribambelle de Ken en néoprène, voire sans néoprène, rôdant aux alentours des planches de surf.
Le seul hic ? La cordialité du surfeur. Diantre, que l’animal est sociable. Alors bon, un par ci, un par là, elle gérait. Brigitte traçait sa route dans les entrailles de la colonie sans passer pour une sociopathe, c’était bien. Jusqu’à aujourd’hui, où la colonie au grand complet a croisé la route de Brigitte, comme ça d’un bloc. Et où Brigitte fait la première chose qui lui vient à l’esprit en cas d’interaction sociale de groupe imprévue. Elle s’est cachée derrière sa planche.
STOP !! Lecteur/trice, le moment est venu de choisir ta
suite.
Si tu aimes le téléphone
et que happily ever after, ta suite est là Elle était là, derrière sa planche, avec la discrétion d’un ado de 15 ans reluquant le fessier d’une Kardashian, quand elle a noté le silence. La colonie n’émettait plus un son, analysant probablement l’étrange dolmen jaune citron dressé en plein sur les bandes jaunes, et Brigitte cherchait activement ce qu’elle allait bien pouvoir dire. C’est que quand elle est préparée, en terrain familier, Brigitte est un véritable boute-en-train. Sans ça c’est le même boute-en-train, mais version dopée au cyanure.
Des pas. La colonie s’approchait. Et ça n’a pas loupé, Brigitte a constaté avec dépit qu’elle ne maîtrisait toujours pas l’invisibilité. Bridget, qu’ils ont dit (le surfeur a du mal avec Brigitte, on le comprend, le pauvre, essayez donc de prononcer Thornton sans accent, vous). Brigitte a relevé la tête, la mine détendue, et souri à Brad. Brad, c’est Ken, version que tu voudrais bien plaquer à la planche pour lui compter les dents. L’improvisation n’est pas le fort de Brigitte. Pour réfléchir au sens de la vie en solitaire ah ça, pas de problème, mais donner une explication plausible dans la langue de Shakespeare, ma foi… Brigitte s’est lancée. Elle a expliqué être présentement en train de contrôler l’équilibre de sa planche en position verticale selon les bandes jaunes de la route qui selon elle, devraient déterminer l’exact largeur de la chose pour une ergonomie optimale sur les vagues. Là, Brad l’a dévisagée avec la même perplexité que Brigitte accordait à son téléphone à chaque sonnerie. Brigitte a donc agi par réflexe. Elle a fait comme avec son téléphone quand elle se demandait qui l’appelait et ce qu’on lui voulait et pourquoi maintenant, elle a empoigné l’engin et collé sa bouche au haut-parleur. Il lui a bien semblé entendre deux ou trois protestations de Barbies en néoprène, mais Brad a suivi la consigne, il a répondu au téléphone. |
Si tu aimes les narcotrafiquants
et que life is a bitch, c’est ici Elle était là, derrière sa planche, avec la discrétion d’un gamin de trois ans jouant à cache-cache derrière un pied de table. Dans l’hypothèse où le subterfuge de Brigitte serait couronné de succès, la colonie de surfeurs demeurerait persuadée d’avoir vu une planche de surf dotée de membres. Ils ne traiteraient jamais plus leurs planches de la même façon. Non qu’ils les maltraitent, remarquez, parfois en les regardant, Brigitte se disait même qu’elle se serait bien fait waxer le bronzage avec autant de passion. Mais bref.
Brigitte, donc, derrière sa planche. Se disant non qu’elle avait peur, mais que s’ils la voyaient, ils allaient lui parler, et que s’ils lui parlaient à 18 (estimation grossière de la colonie en cours de déplacement) elle allait forcément répondre à côté de la plaque. Voire, ne pas savoir quoi répondre, elle dont la spécialité était de se dire après coup mais quelle quiche, pourquoi je n’ai pas pensé à dire ça. L’avantage, c’est que finalement, Brigitte n’a pas eu le temps de passer pour une sociopathe. Chuck est arrivé. Chuck, un brave gars sympathique, mais actuellement très paniqué vu que Barney, son toutou adoré, avait avalé tout le contenu de la boîte de préservatifs goût cheescake. Or Chuck avait vu des reportages sur les narcotrafiquants, il savait bien, lui, qu’un préservatif peut exploser dans l’estomac et causer des dommages irréversibles (non, Chuck n’avait pas poussé la subtilité jusqu’à comprendre que les préservatifs n’étaient pas livrés dans la boîte remplis de cocaïne) et conduisait son pick-up à tombeau ouvert chez le vétérinaire. C’est donc les yeux pleins de larmes, jetant d’incessants coups d’œil sur la banquette où Barney digérait tranquillement ses huit chewing-gums goût cheesecake, que Chuck n’a pas noté la planche de surf jaune citron dressée au beau milieu de la route. Elle se confondait presque avec les bandes jaunes, aussi. Strike. |