C’est Noël, c’est une tradition, on ne mégote pas sur les traditions. Blanche a fait péter les guirlandes. Elle les a descendues des étagères tout en haut des toilettes une par une, en équilibre précaire sur un tabouret parce que les étagères sont au-dessus de la porte et que rapport à la cuvette, impossible de caler correctement le tabouret.
Pourtant, non, elle n’a point chu. Que nenni. Elle a brillamment géré la chose, ayant eu le réflexe de mettre à l’abri son IPhone pour qu’il ne tombe pas dans la cuvette, d’enlever ses chaussons Lapinou aux propriétés antidérapantes relativement pauvres, de s’attacher les cheveux pour ne pas se faire éborgner par une mèche rebelle et même, même, de mettre des lunettes de protection des fois qu’un carton déciderait de lui rayer la rétine. Tout ça, elle l’a déjà fait l’année dernière. Et celle d’avant. Et d’encore avant parce que Blanche, elle ne fait jamais la même erreur deux fois. Elle la fait cinq ou six fois, juste pour être sûre.
Alors cette année, pas de Lapinou dans la cuvette, pas de carton dans l’œil et pas d’IPhone sur le carrelage, cette année, c’est rodé. Elle maîtrise, Blanche. La preuve, elle a descendu tous les cartons sans mec et sans heurt, les a vidés dans le salon, s’est lancée une compil de chansons de Noël aux petits oignons, la théière est pleine, les sablés dans l’assiette, l’éclairage digne de Versailles.
Bernard tire un poil la tronche, d’accord. Bernard, c’est le sapin, le seul qui restait chez Ikea. Elle n’allait pas le laisser là, tout seul, sans famille, à moitié déplumé sous les quolibets méprisants des bobos en goguette sous prétexte qu’il était moche, quand même ? Blanche recueille les pigeons boiteux et les plantes assoiffées, les potes sans logis et les insectes amochés, elle ne pouvait pas ignorer Bernard et sa pointe chauve. D’ailleurs une fois garni de guirlandes et de lumières clignotantes, Bernard a bien meilleure allure, Doudou ne devrait rien remarquer.
Doudou, c’est son mec. Il rentre d’un week-end chez ses parents auquel Blanche a miraculeusement réussi à échapper parce qu’elle devait veiller sur Toto, le chaton trouvé vendredi dans les ordures derrière Franprix. Donc là, comme ça, devant le texto annonçant l’arrivée imminente de son cher et tendre, Blanche s’est dit qu’après 48h de remontrances maternelles, il aurait sans doute envie de se détendre un peu. Elle a posé son sablé à côté de son thé, abandonné sur le tapis la guirlande électrique dont elle s’apprêtait à gratifier Bernard et filé enfiler sa plus jolie robe de Noël, la verte avec un jupon qui vole. Elle a même transféré Toto et sa caisse dans le salon, histoire qu’il n’assiste pas à des ébats dénudés traumatisants.
C’est là que Doudou est rentré. La clé a tourné dans la serrure, Blanche a replacé son string et a remonté le couloir en courant, toujours pieds nus, puisque ses chaussons Lapinou ne sont pas non plus connus pour leur potentiel érotique. La porte s’est ouverte. Elle a traversé le salon pour se jeter dans les bras de Doudou, tout ébaubi par la vision de rêve, du moins jusqu’à ce que la guirlande électrique abandonnée sur le tapis manifeste son mécontentement. Elle s’est sournoisement faufilée entre le gros orteil gauche de Blanche et son voisin. Le fil, déjà relié à a prise de courant, s’est tendu au mouvement suivant, et c’est là que Blanche a chu. Droit sur Bernard.
Pas de quoi casser trois pattes à un canard, lui direz-vous, Bernard était déjà tellement déplumé qu’un peu plus ou un peu moins, hein… elle ne s’est rien abimé, en plus, à part une petite brûlure rouge entre les deux orteils. Oui. Mais ce qui l’ennuie, Blanche, c’est que quand elle a chu, elle s’est emmêlée les bras dans les guirlandes électriques de ce pauvre Bernard. La tête dans les guirlandes et les doigts dans les câbles, sa jolie robe verte par-dessus la tête et le string en plein courant d’air, forcément, après 48h de remontrances maternelles, Doudou a cru à Noël avant l’heure. Il s’est exécuté promptement.
Alors voilà. Bernard n’a plus d’épines, Toto est traumatisé et Doudou refuse catégoriquement de leur payer une thérapie. Joyeux noël, quoi.