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Non, ce n’est pas une faute de frappe. Et non, elle n’a pas le nez bouché. Mais sa mère est historienne, amoureuse du moyen-âge et d’un romantisme un tantinet désuet, pour être gentille et ne pas dire carrément ringard. Alors Bathilde s’est habituée. A la longue, elle se présente en tant que « Bathilde avec un B et sans rhume », ça brise la glace, glace qu’elle briserait volontiers d’un B comme dans bain chaud, là maintenant tout de suite.
C’est que vous comprenez, quand on a une mère fana de Dante et de Giotto, un frère qui s’appelle Clotaire et un chien prénommé Sigebert, on développe, comment vous dire, une sorte de haine viscérale envers tout ce qui porte la chausse. Forcément. Et Bathilde, à force de rébellion, a fini par verser dans un new age peace and love fort peu avant-gardiste, certes, mais très éloigné de la chausse. Dans sa tribu, on serait plutôt dreadlocks et pieds nus. Sa mère abhorre les dreadlocks, expliquant probablement comment Bathilde a pu succomber aux charmes du beau… non, même pas. Aux charmes de Jack. Non, il ne s’appelle pas vraiment Jack. En fait, c’est Michel, vous comprendrez pourquoi il préfère Jack. Un Michel en dreadlocks, c’est comme un spaghetti en barbe à papa, y a comme un truc qui cloche.
Quand Jack a parlé d’une retraite spirituelle à la montagne, Bathilde a dit oh yeah. Parce que franchement, après six mois sans vacances à concilier pieds nus et rédaction de sinistres dans les assurances, n’importe qui aurait dit oh yeah, non ? Elle en tous cas, si. Elle a emballé sandales et chaussettes, sacrifié son sarouel pour un jean et s’est prise à rêver de demande en mariage au clair de lune, vu que Jack est un grand romantique et que… enfin non, même pas. Mais Bathilde aurait vraiment aimé que Jack soit un grand romantique et si vous ne croyez pas en votre chance, personne ne le fait à votre place.
C’est donc dans la joie et la bonne humeur qu’ils ont chargé le mini van, emballé le xylophone et les quartz, et enfilé un collier à Allen, leur teckel. Pas très new age, le teckel, mais le karma a ses raisons que la raison ne connait pas. Si ça se trouve dans une autre vie, Allen était poète, comme dit Jack, même si selon Bathilde ce pauvre Allen devait plutôt se rapprocher du yak sauvage. Et les voilà partis, chakras épanouis et spiritualité en plein éveil, réjouis par la perspective de nuits tantriques sous la tente sur un plateau méconnu, en communion avec mère Nature.
Bathilde va être honnête. Elle a planqué une bouillote dans son sac de voyage en patchwork. C’est qu’elle a l’orteil sensible, et qu’à force de vivre pieds nus, la sinusite facile. Comment vous dire, dans ces conditions, que ses chakras ont commencé à s’encrasser sérieusement lorsqu’ils ont constaté, en débouchant sur leur plateau méconnu, que la vague de froid arctique en provenance du nord avait transformé la verte plaine en champ d’icebergs ? Acceptation, a dit Jack, et Bathilde a opiné avec la sévère envie de lui raser les dreadlocks. Communion avec la nature, tout ça tout ça, comme si une spiritualité épanouie avait déjà allumé un feu de camp.
L’après-midi était en fête, le soleil en pleine orgie et le fond de l’air tout juste glacial, allez Bathilde, du nerf, on sourit joyeusement, à défaut de sincèrement, et on pense bague en quartz au clair de lune. Ressentir la force de notre mère la terre jusque dans la moindre fibre ? Mais bien sûr mon chéri. Retirer tout obstacle à une communion transcendantale par la puissance d’une herbe sauvage en lutte avec les forces polaires ? Mais oui, tiens, en voilà une bonne idée, ensuite on ira faire trempette en tenue de naturiste dans le torrent gelé. Oui, je sais, moi aussi j’ai de bonnes idées, comme quoi on est en phase. Oui, oui, je retire mes obstacles. Voilà. Oui, je sens bien, très bien même, la force de l’herbe sauvage, d’ailleurs je la sens tellement bien que je ne sens plus rien.
Voilà comment, plus ou moins par rejet de la passion maternelle, Bathilde a forgé son destin et s’est retrouvée, en ce jour peu chaud de janvier, pieds nus sur une plaine congelée. Ah ça oui, c’était joli. Et sauvage. Tellement sauvage que lorsqu’Allen est revenu la queue entre les jambes du sous-bois voisin pour ramper sous le mini van, il a ramené des copains, à savoir une troupe de sangliers. Et laissez-la vous dire, Bathilde, que le sanglier est nettement plus cordial dans Astérix et Obélix.
En l’occurrence, non seulement les malotrus on refait la carrosserie du mini van en cherchant à débusquer Allen, mais ils ont fini par agresser le rocher sur lequel Bathilde s’était réfugiée, répandant une traînée mélodieuse de cris d’horreur. Concrètement ? Concrètement, ça donnait ça : Jack ! Jack, ne me laisse pas ! Jack ? Non mais Jack ? Non mais sérieusement, Jack, si tu ne ressors pas tes dreadlocks dans la seconde pour chasser cette bande de mufles et sauver ta bien-aimée, je te jure que la bien-aimée en question va te repeindre le chakra version Basquiat. Jack ?
Jack n’est pas ressorti. Bathilde, pieds nus par 2°C sur un rocher gelé, attend que la bande de mufles daigne repartir chasser la truffe dans les sous-bois, tirant profit de cette douce méditation offerte par Mère Nature pour faire un tantinet le point. Autant vous l’avouer, à mesure que la fabrication de sa fronde à base de colliers de quartz avance, elle sent l’illumination approcher et elle se dit que quand elle lui aura rasé le ciboulot, à l’autre allumé du bocal en dreadlocks enfermé dans le mini van, elle le laissera sans poils ni vêtements dans le torrent gelé pour le remercier de ne pas l’avoir demandée en mariage au clair de lune. Peut-être mauvais pour les chakras, mais très bon pour le moral.