Ma douce, j’ai bien conscience des sacrifices consentis, tu es mon sirop, ma chaussette en moumoute, mon beurre de cacahuètes. Tu me casses les bonbons mais tu comptes plus que tout et pour te remercier voilà, voyage surprise, lune d’érable, c’est cadeau, trois semaines sous un soleil printanier dans le coin le plus romantique de France, quand on reviendra l’hiver aura renoncé, à toi lunettes, jupettes et sandalettes.
Voilà comment il lui a vendu le voyage, Marc. Qui y aurait vu l’empreinte d’un malfaisant destin ? Pas Anne-Charlotte en tous cas, elle a une bonne nature, elle a sauté au plafond. Le plafond étant Marc, du haut de ses presque 2 mètres.
C’est que voyez-vous, Anne-Charlotte est blogueuse mode et qu’une blogueuse mode dans le grand Nord, c’est comme un Monet dans un local-poubelle. C’est difficile à mettre en valeur. Mais l’amour, hein… il était beau, il était grand, il avait des piercings aux oreilles et Anne-Charlotte adore les piercings, même si au départ elle a cru que c’étaient des miettes.
Elle s’est donc glissée dans ses valises sans broncher – il a de grandes valises et elle n’est pas bien grande. Sacrifice suprême, preuve d’amour ultime, elle a investi dans des bottes de neige et remisé ses débardeurs au profit de manteaux triple épaisseur, de collants Thermolactyl ou de bonnets fourrés. Elle a bien tenté la séance photo dans la neige, n’allez pas croire, Anne-Charlotte est une dure à cuire, mais dure à cuire ou pas elle tient à ses orteils, et elle a vite compris qu’un choix s’imposait. Elle a opté pour ses appendices.
Elle ne s’en plaint pas, hein. Pas vraiment. Mais le soleil c’est sympa, aussi. Les verres en terrasse, les shoots photos sans risque d’hypothermie, tout ça tout ça, ça vaut pas un Marc mais ça fait du bien quand ça revient. Si le Marc en question lui offre de gratter trois semaines à l’hiver, vous l’avez donc compris, Anne-Charlotte fait ses valises dans la demi-heure.
En l’occurrence, ça lui a pris plus ou moins dix minutes mais pour être honnête, elle a un peu réduit le volume par la suite. Marc a prétendu qu’elle n’avait pas besoin de dix-huit bikinis, huit paires de sandales, six de talons, ni de douze shorts. Le pauvre homme. Il n’y connait rien mais en tant qu’instigateur du voyage et photographe attitré de la blogueuse mode, il a malheureusement du poids. Elle a donc retiré six bikinis pour les planquer dans sa valise, à lui.
Bref bref bref, on s’égare, ils arrivent, le photographe et sa blogueuse dans le sud de la France au printemps, les orteils réjouis et le moral dans les nuages. Anne-Charlotte frétille d’impatience, elle a repéré dès l’arrivée à l’hôtel : promenade en barque sur les canaux. Romantique, a dit Marc. Créatif, a répondu Anne-Charlotte. Un look mode dans une barque, la classe ultime, raboule les valises.
Voilà comment le lendemain matin aux aurores, Anne-Charlotte a piétiné Marc jusqu’à ce qu’il se lève. Voilà comment ça a commencé à ramer, au sens propre, puisque Marc a ramé 20 min dans un labyrinthe de canaux avant de dégoter l’endroit idéal selon sa douce. Oh, merveille. Un saule pleureur à la surface de l’eau, un petit ponton mignon, une eau calme et un soleil aimable. Le cerveau au bord de l’implosion, trop de bonheur, trop d’idées, trop d’amour, Anne-Charlotte s’est redressée dans la barque, muse printanière en plein émoi.
Visualisez donc : elle, debout à une extrémité, déhanchement savamment dosé et œil taquin, le sac à franges au bout d’un bras et le jupon de gitane soulevé par une douce brise. Ah, le printemps. Lui, debout à l’autre extrémité, appareil photo vissé au regard et grand corps penché sur la prunelle de ses yeux en pleine performance. Elle, court-circuit créatif, attrapant une branche du saule de sa main libre. Bam. Le battement d’ailes du papillon, la catastrophe en chaîne.
Résumons, pour tenter de clarifier une suite d’évènements pas très claire. Clac, la branche lâche. La muse printanière vacille et dans un effort héroïque pour se rétablir, bat des bras version poule hystérique.Paf, les franges du sac dans la tronche de Marc. Le photographe inspiré vacille à son tour et tend les bras en avant, c’est chacun pour soi, il s’accroche à ce qui traine. C’est humain, malheureusement ce qui traîne, c’est la jolie jupe de gitane de sa dulcinée. Plouf, l’appareil photo. Crac, la jupe de gitane. Notez bien, une vraie camelote, ces jupons légers. Déstabilisée par la fugue de sa jupe, Anne-Charlotte n’a pas fait long-feu, elle s’est éclaté un tibia et a basculé par-dessus bord.
L’enchaînement maudit aurait pu s’arrêter là, mais Marc est galant. En général, c’et bien. Anne-Charlotte apprécie. Là, moins. Puisqu’en preux chevalier qu’il est, il a bondi à l’extrémité de la barque par laquelle sa douce venait de disparaître. Vous voyez venir l’atterrissage du presque 2 mètres sur le fragile plancher du rafiot ? Oui, re-crac.
Non, ce n’était pas vraiment sa faute, à Marc. C’est vrai. Mais quand vous sortez de la vase en petite culotte, vous avez besoin d’un coupable. Quand votre appareil photo git entre deux roseaux et que la barque censée vous ramener s’embourbe au bord d’un canal, ce n’est plus un coupable, c’est un punchingball.
Marc, c’est un gentil. Il n’a même pas bronché avant de donner son pantalon à Anne-Charlotte. Il n’a rien dit non plus quand elle s’est assise au bord du ponton, le brushing en mode visqueux et le sac à franges dégoulinant, très digne, expliquant patiemment qu’elle ne bougerait plus d’ici. Il s’est contenté de partir en caleçon vers la route à la recherche d’une voiture à arrêter.
Conclusion en trois points. 1) un canal, même au printemps, c’est froid. Et sale. 2) Marc est un chic type avec une tendance dramatique à sous-estimer sa taille 3) les looks mode en chambre d’hôtel, c’est bien, aussi. Surtout quand on chope la crève après avoir goûté l’eau d’un canal au printemps.