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Annabelle est une fille honnête. Une vraie de vraie, une qui ne sait pas mentir. Alors elle va être parfaitement honnête avec vous en admettant que non, ce n’était vraiment pas comme ça qu’elle avait envisagé la chose. Bon. Elle était lucide dès le départ, tout de même. Un séminaire sur la prévention du burn-out dans les Alpes, ça ne pouvait pas, sur le papier, se transformer en réunion de strip-teaseurs sous ecstasy à Las Vegas. Encore que Lucie, la chaudasse de la compta, pouvait bien transformer la prévention du burn-out en lutte contre le harcèlement sexuel, si elle continuait à pousser Bertin dans les cordages. Bertin, c’est l’informaticien.
Mais bref. Voilà. Sur le papier, le burn-out, tout le monde s’en tamponnait l’agrafeuse : si les établissements Bichot et Cie étaient en force, c’est parce que le séminaire avait lieu à la montagne, et qu’ils étaient tous un poil frustrés de s’être vus sucrer, une fois encore, leur rêve de Noël blanc pour un Noël boueux. Alors pensez. Un séminaire dans les Alpes tous frais payés ? Annabelle a fait comme tout le monde. Elle a sorti ses bottines fourrées, sa parka doublée moumoute et planqué des mignonettes de vodka sous son bloc-notes, histoire de ne pas se laisser déprimer par ces histoires de burn-out. Et puis elle a pris le train.
Le problème ? Le problème, c’est qu’Annabelle est une fille de la ville. Vous voyez. Une fille de la ville qui par grand froid, fait l’énorme sacrifice d’enfiler des chaussures de randonnée, histoire d’avoir chaud aux pieds. Pas vraiment une adepte du grand Nord, en somme, et certainement pas une de celles qui sait quoi mettre quand le thermomètre dégringole sous la limite décente ou que la poudreuse vous arrive aux genoux. En revanche et pour son malheur, elle fait partie de celles qui saisissent la première occasion, en l’occurrence l’abus de mignonettes durant un exposé absolument pas passionnant sur les moyens d’éviter le burn-out et l’insistance très peu nécessaire de Lucie et de Bertin, pour se carapater au moment d’aborder l’importance de la pause au travail.
D’ailleurs, avec son honnêteté coutumière, Annabelle a trouvé l’ironie particulièrement savoureuse. C’est vrai, quoi. Même pendant un séminaire, il faut faire des pauses pour éviter le burn-out. Elle a donc rampé à la suite de Bertin, chopé Caroline, du département des expéditions, au passage, et rejoint sa chambre pour enfiler sa tenue de grand froid. Ils étaient à la neige, ils allaient voir la neige, que diable !
Ce fut sans doute là sa première erreur. La mignonette était corsée, Annabelle n’a pas, ou peu, ou mal, réfléchi. Si elle a bien enfilé ses chaussures de randonnée, elle n’a pas imaginé qu’il lui faudrait lacer lesdites chaussures ni changer de pantalon. Elle était en jean, quand même. C’est solide, le denim. Enfin ça l’est peut-être, quand il ne s’agit pas d’un legging effet denim, en tous cas, détail qu’elle a généreusement négligé pour mieux rentrer la chose dans ses chaussettes. Parce qu’au début, la mignonette tient chaud. Vous enjambez les mottes de neige du sentier balisé, gambadant avec l’insouciance d’une Pocahontas dans les prés sauvages. Au début.
C’est qu’ensuite, le sentier s’efface, ou que la mignonette oriente vos sens jusqu’à quitter le sentier, allez savoir. Bertin, Caroline et Lucie roulaient dans la poudreuse avec l’insouciance de l’alcoolique mondain, Annabelle a gaiement emboîté le pas, ou essayé. Il y en avait beaucoup, de la poudreuse. Si elle avait toujours chaud aux épaules avec sa parka doublée moumoute, son fessier, à l’inverse, a rapidement commencé à protester et des fesses qui grelottent, laissez-la vous dire, Annabelle, que c’est parfaitement désagréable. Oui, même en essayant de se convaincre qu’après pareille session de Pilates, son honorable séant aurait bien gagné deux centimètres sur la loi de la gravité.
Non, mais à la limite, la fesse vibrante, elle aurait pu gérer. C’est de voir s’éloigner Bertin, Caroline et Lucie, qui était vraiment pénible. Parce que le legging détrempé, même effet denim, ça gèle, que le cuissot qui gèle apparemment, s’anesthésie, et que soulever un cuissot au-dessus de cinquante centimètres de neige en pleine anesthésie, c’est sacrément coton. Et que quand elle s’est retrouvée plantée dans la poudreuse avec son legging gelé et son cuissot inconscient, les effets de la mignonette n’ont pas fait long feu.
Alors voilà. Annabelle ne vous dira pas qu’elle est morte raide comme un piquet dans cinquante centimètres de neige, ce serait ridicule, certes, mais elle se demande si elle n’aurait pas préféré. Parce que quand ses collègues imbibés – et hilares – ont enfin pris conscience de sa disparition, ils n’ont pas mis longtemps à la retrouver. En revanche, ils ont – toujours hilares – réalisé sans complexe être bien trop imbibés pour la tirer de là. C’est donc toujours sans complexes qu’ils ont alerté l’intégralité du séminaire et qu’on a délogé Annabelle en la tirant par les épaules.
Vous suivez ? Voilà pourquoi la mignonette, c’est fini pour Annabelle. Parce que les méandres d’un cerveau euphorique ont fait qu’elle a enfilé des chaussures de randonnée plutôt que des bottes, conservé un legging effet denim et bien rentré la chose dans ses chaussettes. Et que quand on l’a tirée de sa poudreuse, si Annabelle est bien venue, le legging, non. Croyez-la quand elle vous dit qu’elle est contente d’avoir opté pour la culotte plutôt que le string. Et croyez-la aussi, quand elle vous dit qu’en culotte dans la neige avec un cuissot anesthésié devant l’intégralité du séminaire, elle se dit qu’elle va le faire là maintenant tout de suite, son burn-out.