Ça n’était pas du tout censé se passer comme ça. Même pas un peu, en fait. Elle devait emballer, ce soir, pas finir assise au bord du trottoir habillée en vieille fée décatie, le Mojito à fleur de gorge et le jupon dans le caniveau. Mais Aimée a plutôt du bol, en règle générale. C’est pour ça que même là, maintenant, elle se dit qu’elle finira bien par le choper, le St Hubert.
Hubert n’a rien d’un saint, mais vous imaginez bien qu’avec un prénom pareil, vous êtes un aimant à vannes. C’est peut-être ce qui attiré Aimée, elle-même relativement gâtée par ses parents dans la catégorie « assume ton prénom et apprends la vie ». Ça, ou son splendide fessier ? Aimée est sensible aux deux.
Quoi qu’il en soit, Hubert avait quelque chose d’onctueux (ST Hubert, beurre, onctueux…) qu’Aimée a voulu illico, illico comme Hubert sur une tartine. Sauf qu’Aimée est timide, et qu’Hubert est lent. Trois semaines de flirt gentillet, toujours pas de langue en vue. Le romantisme, c’est bien, mais faudrait voir à pas tomber dans l’abstinence, non plus.
Aimée, la douce Aimée, Aimée qui n’a jamais dragué, jamais fait le premier pas et encore moins intrigué pour un homme, Aimée a commencé à faire des plans. Avec des listes. Et des cases. Et des graphiques, on voit tout de suite plus clair avec un graphique. Et des copines. C’est sans doute de là que venait la mauvaise idée, non ? Ne jamais impliquer les copines dans ce genre de stratégie complexe ?
Et pourtant sur le papier ça paraissait futé, Aimée avait 30 ans, faire une fête d’anniversaire pour ses 30 ans, ça avait du sens. Inviter St Hubert au milieu des autres, aussi. Picoler un peu pour se donner du courage, encore plus. Ne restait qu’à coincer la cible, la faire sortir prendre l’air et la plaquer contre le mur. Ce qui avec les Mojitos, semblait tout à fait gérable alors non, vraiment, même maintenant avec le jupon dans le caniveau, Aimée ne trouve pas la faille dans son plan.
Deux semaines ! Elle a planifié la soirée pendant deux semaines avec ses copines, ce qui, si vous comptez, amène donc à cinq semaines le régime sans St Hubert d’Aimée. On vous laisse imaginer dans quel état elle était. Pourtant, même affamée, elle a suivi le plan à la lettre. Les invités ont débarqué, dûment déguisés, elle les a casés dans son petit appartement en rez-de-chaussée, a monté la musique et rempli les verres. A haussé un sourcil coquin devant Hubert costumé en beurrier. A travaillé son courage à coups de Mojitos et nourri sa cible de froufroutements de tutu.
Remplir des verres affublée d’un tutu et d’une baguette magique, figurez-vous que ça n’a rien d’évident, mais elle ne pouvait pas se plaindre, l’idée de la soirée déguisée venait d’elle. Alors le tutu/diadème/Converse, ok, c’était fun, d’autant que le tulle translucide stimulait l’imagination quant à la couche du dessous (pour répondre à votre question, un tout petit bout de chose en dentelle spécial St Hubert, mais planqué sous une minijupe supplémentaire, rapport aux invités autour de St Hubert).
La baguette magique, en revanche, c’était beaucoup moins fun. Voire franchement ridicule et carrément peu pratique. Pourquoi ne l’a-t-elle pas simplement balancée, cette baguette ? Jetée, cramée, broyée ? Mais non. Elle a cassé un vase et assommé Coralie avant de la coincer dans son tutu. Puis au moment d’attirer Hubert dans la rue pour le placage mural, elle l’a décoincée, soucieuse de dégager la voie d’accès. Or ce tout petit geste, cette nano-décision, a fait que la voie, ce soir, restera inexplorée.
Elle est sortie sur le trottoir, gentiment imbibée, la volonté désinhibée et le diadème de travers, prétextant un subit besoin d’oxygène. Hubert a suivi sans broncher. Il n’a même pas ironisé sur le niveau de pollution de la rue, prouvant bien que lui aussi, il suivait un plan. Parce qu’Hubert est lent, mais il n’est pas stupide, alors qu’Aimée, elle, est loin d’être subtile.
C’est dans le tutu, qu’elle s’est dit. Emballé c’est pesé, à moi la tartine et St Hubert était du même avis, apparemment. Il ne lui a pas laissé le temps de simuler l’étourdissement prévu pour la scotcher à la brique. Et bam, la fameuse langue perdue depuis cinq semaines a fait surface, droit dans la bouche d’Aimée. Aimée, qui sa baguette dans la main gauche, a levé un bras pour enlacer son fougueux beurrier.
Et nous y voilà. Un beurrier roule une pelle à une fée contre un mur de brique. La fée brandit sans le vouloir sa baguette. Nounours, le golden retriever de madame Jablet, en pleine pause pipi sous un platane, voit briller l’étoile à dix mètres. Bâton, jouet, nonosse ? Nounours arrache sa laisse des mains de cette pauvre madame Jablet, prend son élan et vole à toutes pattes vers le nonosse, achevant sa course d’un splendide bond sur l’humain derrière le nonosse.
Aimée n’a rien compris. En trois secondes, elle a entendu hurler madame Jablet, s’est dit qu’elle était trop bien occupée pour en chercher la raison, a senti la bête atterrir dans le dos d’Hubert, le corps d’Hubert écraser le sien contre la brique. Puis le front d’Hubert filer un coup de boule à la brique sous la poussée de Nounours.
Nounours est ravi, il a gardé la baguette magique. Madame Jablet est traumatisée, elle risque de leur cuisiner des cookies expiatoires pour une dizaine d’années. Dix points de suture et une incisive en moins pour le beurrier, sans mentionner le lumbago provoqué par les pattes de Nounours atterrissant au creux de son dos. La fée, elle, s’en sort avec le diadème incrusté dans le brushing et le décolleté repeint au St Hubert, ruminant le fait que son honneur restera ce soir intouché, et que ce pauvre Hubert risque fort de ne plus vouloir s’y frotter. Il lui faut un plan B.