La fashion, la fashion… ça va deux minutes, la fashion. Mais y a quand même un moment dans la vie où on a besoin de pratique, de confort et où franchement la fashion, on s’en tamponne le coquillard, pardon Anna Wintour. Voilà plus ou moins où en est Aglaé, là maintenant tout de suite.
Parce que dans la boutique, c’était trop la classe et Aglaé aime bien, avoir la classe. C’est qu’elle en a connu, du fashion faux pas, cette fois, elle allait assurer. La vendeuse le lui a garanti : elle était au top de la tendance. Pourquoi la vendeuse mentirait-elle ? Elle n’avait pas une tête à mentir, avec ses stilettos hors de prix. Et puisque c’était quand même son métier, le top de la tendance et le conseil client honnête et avisé, Aglaé n’a pas douté. Elle a raqué.
C’est dingue ce que ça peut coûter cher un morceau de plastique mais eh, que ne ferait-on pas pour faire bisquer les modeuses ? Elle cherchait une parka, elle est ressortie avec un imperméable. Mais qui tient chaud. Ah ça oui.
Quand Clémence, sa copine toujours canonissime tirée à quatre épingles avec juste ce qu’il faut de négligé pour être sublime l’air de rien, lui a proposé trois jours à Venise parce qu’elles n’allaient pas attendre un mec pour se payer un séjour de rêve, rapport à l’autonomie de la femme moderne, Aglaé a presque pleuré de gratitude. Non seulement elle allait prouver sa modernité, mais en plus, elle aurait enfin l’occasion de porter son imper top tendance. On prévoyait de la pluie, à Venise. Si ça, c’est pas le destin… Ni une ni deux, Aglaé a bouclé sa valisette, soigneusement plié son imper dans du papier de soie et roule ma poule, les deux célibataires en goguette à Venise.
Bon. Déjà, l’autonomie de la femme moderne, Aglaé l’a moyennement ressentie. Elle se sentait plutôt d’humeur à cramer les ponchos des exhibitionnistes et dieu sait que Venise en recèle, des exhibitionnistes. Si. Ça se tripote, ça se câline, ça se lèche le gosier dans tous les coins. Des couples partout, une honte. Si Mamie voyait ça, elle se ferait hara-kiri avec son crucifix. Heureusement, Aglaé est un poil plus moderne, elle s’est contentée de souffler ostensiblement et ça n’avait aucun, mais alors aucun rapport avec son célibat joyeux et assumé.
Ensuite, ce n’est pas une averse qui leur est tombée sur le coin du brushing. Non, ce sont des trombes d’eau. Dès le début. L’euphorie d’Aglaé, autant vous l’avouer, n’a pas duré bien longtemps, imper top tendance ou pas puisque comme à la bonne époque des k-ways, ce machin lui a filé des suées au bout de quelques minutes de visite à peine. Errant dans les rues noyées genre même pas mal, même pas peur, elle a donc retiré l’imper et là, vraiment, elle se demande encore ce qui a bien pu lui passer par la tête. Comment n’a-t-elle pas établi la connexion pluie-eau-mouillé ? Toujours est-il que forcément, trois minutes trente, plus ou moins, ont suffi à transformer son petit pull rayé en serpillère informe, et c’est tous les poils hérissés par le froid, claquant des dents et le brushing dépité qu’elle a suivi Clémence dans un café. Un café plein de tourtereaux.
Clémence, face à elle, radieuse, la mèche blonde délicatement rentrée sous une capuche légère, les cils joliment perlés de gouttelettes sur son mascara waterproof, le pull angora bien sec et manifestement pas du tout atteinte par l’orgie géante en place autour d’elle. Clémence qui appuie là où ça fait mal après une vingtaine de minutes à regarder dégouliner le pull rayé d’une Aglaé grelottante, affirmant qu’elle n’a plus le choix. Que l’hôtel est trop loin, si elles y retournent maintenant la journée est fichue. Que c’est ça, ou attraper la crève et rester clouée au lit le reste de leur court séjour, sans rien découvrir des charmes vénitiens. Que d’ailleurs c’est presque fait pour, il y a des morceaux blancs stratégiquement placés sur le plastique translucide, translucide, pas transparent, ça ne devrait pas trop se voir, pour le jean il n’y a que le bas de trempé, elle n’aura qu’à le rouler. Mais que quand même, où est-elle donc allée pêcher un imper pareil ? Dans le placard de sa grand-mère ?
Aglaé n’a rien dit. Pas parce qu’elle ne voulait pas, mais parce qu’elle tremblait trop fort. Elle n’a pas non plus éclaté le joli nez de Clémence sur sa tasse de café. Elle s’est levée avec résignation, a renversé son chocolat chaud d’un grelottement intempestif mais on s’en tape, c’est imperméable, et est partie aux toilettes.
Alors oui, ça tient chaud. Très chaud, pas un souffle d’air ne circule à l’intérieur, elle n’a plus froid, elle n’attrapera pas la mort, youpi. Elle est à Venise avec une gravure de mode, entourée de couples en pleine pâmoison, à poil sous un imper translucide, le jean remonté jusqu’aux genoux, son voisin de gauche tente de la regarder de profil pour apercevoir un téton, elle a dû se démaquiller au papier toilettes pour se débarrasser de l’effet raton laveur et ses cheveux ont séché avec la discipline d’un ado en pleine crise. Elle n’a jamais été aussi heureuse, d’ailleurs dès son retour, elle va aller dans la boutique raconter à la vendeuse à quel point elle se sent épanouie. Elle va même lui faire la bise, à la vendeuse. Avec une chaise. Dans la tronche.