Epilogue
— Je vais prendre une douche.
Raph hausse un sourcil. Emilie s’immobilise au milieu du salon, son talon nu battant impatiemment le parquet, puis lève les yeux au ciel et repousse une mèche blonde.
— C’est bon, soupire-t-elle. Elle avait compris. Cassie, me ferais-tu l’honneur de me louer ta douche ?
— Loues-moi ton frère pendant ta douche et on a un accord.
— Vendu. Tu n’auras qu’à le ranger dans son tiroir quand tu n’en auras plus besoin.
— Eh !
Raph fait mine de s’indigner, mais mine seulement. D’une, parce qu’affalé sur un canapé violet avec des miettes de croissant dans la barbe et un caleçon Captain America, il perd indéniablement en crédibilité. De deux, parce qu’il ne se lasse pas de ce miracle quotidien. Elles sont là, et elles rient.
Emilie est à nouveau casquée de platine, la boucle de Cassie repousse lentement, le regard gris s’éveille et le vert s’apaise, jour après jour, nuit après nuit. L’ombre des cicatrices est encore visible Les cicatrices invisibles, c’est pire. Mais elles sont en convalescence, le reste suivra, Raph est quelqu’un d’optimiste. La preuve, il croit dur comme fer qu’elles finiront par s’apprécier ouvertement.
Des chaussons fourrés. Tandis qu’Emilie claque vigoureusement la porte de la salle de bains, Cassie se dit qu’avec des chaussons fourrés, peut-être réussira-t-elle à adoucir la démarche d’Emilie et l’humeur des voisins du dessous.
— Tu as entendu ? Lui glisse Raph à l’oreille. Elle t’a posé une question avec point d’interrogation.
— Ouais. Et moi j’ai fait de l’humour.
— Quand je te dis que vous allez devenir copines !
— Ben voyons, et toi tu vas finir ton roman sur une happy end, aussi ?
— Qui sait ? Après ces dernières semaines, je me verrais bien écrire l’anthologie des Bisounours.
Collée contre lui sur le canapé, Cassie lui décoche un sourire. Pour en avoir visité certains tunnels en direct, Raph explore désormais les méandres du mal avec détachement, noircissant planche après planche sur le minuscule bureau aménagé dans la chambre. Il relativise. Et ces derniers temps, le voyant penché sur ses feuilles la langue tirée, Cassie ressent de drôles de trucs, comme une envie de dire des choses qu’elle ne voulait plus jamais dire.
Un mois, déjà. Un mois qu’il encaisse sans broncher. Il a tout vu, tout entendu, tout accepté, ne l’a pas touchée avant qu’elle soit prête. Il l’oblige à digérer à sa façon, à coups de blagues plus ou moins douteuses ou en l’ignorant purement et simplement lorsqu’elle tente de le mettre dehors, ce qui est arrivé deux fois mais n’a pas semblé ébranler Raph le moins du monde.
Sans doute parce qu’il n’est pas stupide, et qu’elle dissimule très mal ses sentiments. Bon, oui, d’accord, elle est amoureuse, voilà. Après tout ça, après ce qu’elle a traversé, elle se découvre amoureuse comme une midinette et très franchement, soyons lucide, c’est ridicule.
Ce le serait, du moins, si cet état de transe extatique ne lui avait pas permis de survivre aux dernières semaines, à la plaie béante laissée par Ian, à la plongée qu’elle a dû s’imposer dans l’esprit brisé d’Emilie, à l’angoisse que Ian n’émerge de son coma à n’importe quel moment. Sûr.
Il est toutefois regrettable que ce fameux état de transe extatique l’ait menée, dans un moment de faiblesse, à offrir l’asile aux De Forest.
— Allez, insiste Raph. Avoue que tu l’aimes bien, ma sœur.
— Autant qu’une épilation du maillot.
— Hier, elle t’a fait pleurer de rire.
— Comme une épilation du maillot.
Il s’esclaffe sans scrupule, pas dupe pour deux sous. Oui, il y aura toujours quelque chose de bancal entre Cassie et Emilie. Elles sont devenues deux facettes d’une même histoire, jamais face à face mais toujours associées.
Sa sœur est caustique, railleuse, autoritaire et parfois hautaine, mais drôle. Or il se trouve que Cassie est particulièrement sensible à l’humour De Forest. Il le sait, il le sent, une amitié distante rôde dans les parages.
Il glisse un doigt sous l’élastique du short violet avec un soupir lavasse. Pas de culotte. Oubliées armure, tourelle et mâchicoulis, elle ne conserve qu’un bunker miniature en cas de dispute et lui pourrait juste rester là, dans un coin, à la regarder vivre, sans perdre ce bonheur béat qui ne le quitte plus. Et si Emilie semble relativement consternée par la disparition des neurones fraternels au moindre sourire de Cassie, lui le vit très, très bien. Il est heureux comme un pape.
— Où est mon téléphone ?
Raph tressaille, surpris. Il n’a pas entendu sonner le portable de Cassie. Puis il perçoit le son ténu d’une vibration, comme étouffée, sous…
— Devine, ricane-t-il subitement. Ce chat a un problème avec les téléphones.
— Gruyère ! S’indigne Cassie.
Trônant sur le comptoir, œil plissé et fourrure tigrée vibrant sous les impulsions du portable de Cassie qu’il couve consciencieusement, Gruyère ne remue pas un muscle. Il laisse Cassie le soulever d’une main pour récupérer son téléphone, puis s’affale de tout son long et ferme les yeux. Raph sourit. Il va lui manquer, ce chat, lorsque madame Ribaudet sortira de l’hôpital. Il a eu beau protester lorsque la vieille dame les a suppliés de s’en occuper, il s’y est finalement attaché. Le côté branleur indolent, sans doute.
— Salut Philippe. Bien, et toi ?
Philippe. Ami. Raph dévore des yeux la rouquine au téléphone qui revient s’affaler contre lui en toute confiance, short violet sur canapé violet et sweat-shirt mollasson. Son pyjama est hideux. Le secret réside dans l’absence de sous-vêtements.
Il l’attire un peu plus près de lui, ce qui revient à la jucher sur ses genoux, et tente de capter la voix de Philippe dans le téléphone. Pour le monde extérieur, l’histoire est simple : un homme dérangé, une femme enlevée, happy end. Officiellement, le coma n’est que la conséquence de la chute. Officieusement, les coups portés par Sylvain, puis par Raph, peuvent être responsables au même titre que les actes de Cassie, actes que Raph n’a toujours pas compris, d’ailleurs, et qu’il n’est pas certain de vouloir comprendre. Il sait seulement que lorsque depuis ce soir-là, elle semble en paix avec elle-même, comme si elle avait digéré ses huit années de souffrance. Il prie donc de tout cœur pour qu’Irvin Alexander ne sorte jamais de ce coma.
— Tu es sûr ? Mais je croyais qu’il… oui, je sais. J’aurais pensé… bon. Tu es vraiment sûr ?
Raph fronce les sourcils et de force, empoigne le téléphone pour activer le haut-parleur. Les taches de rousseur viennent de s’évanouir.
— … de simuler ça, résonne soudain la voix de Philippe. Alors oui, je suis sûr et certain. Bon, je dois te laisser, j’y suis encore. Je te rappellerai ce soir pour savoir comment tu vas.
Cassie tire sur la louve à son oreille, comme toujours débordée par l’amour dont l’entourent Philippe et Muriel. Qui depuis cette histoire, ne réfrènent plus leurs pulsions affectives et l’inondent de câlins ou de questions qu’elle peut difficilement repousser.
— Je vais bien, le rassure-t-elle. Promis. Et on se voit tous pour déjeuner demain, pas la peine d’appeler ce soir, mais merci.
— Mmm. Tu es sûre que… Raph est là ?
— Oui, il est à côté de moi.
— D’accord. Bon. Embrasse-le, parle à Emilie et je vous en dirai plus demain. Prends soin de toi, ma puce. Et encore une fois, pas de doute. C’est pour de bon.
— Merci. Et merci d’avoir appelé. A demain.
Elle raccroche lentement, le regard ardoise collé aux basques. Elle ne sait pas quoi penser. Vraiment. Si encore elle parvenait à saisir toute la portée de…
— Cassie ? Qu’est-ce-qui se passe ?
— Emilie ! Hurle-t-elle.
— Cassie ! Insiste Raph.
— Emilie !
La porte de la salle de bains s’ouvre à la volée, libérant un nuage de vapeur. Une serviette sur les cheveux et la mine passablement furieuse, Emilie en jaillit dans un peignoir gris.
— Quoi ? Tu es obligée de beugler comme ça ? Je n’ai pas eu le temps de faire mon brushing !
Toujours perchée sur les genoux de Raph, Cassie se penche en avant.
— Il est mort, lâche-t-elle.
Emilie ouvre la bouche puis se laisse pesamment tomber sur le fauteuil jaune moutarde. Raph ne dit rien, ne bouge pas, tendu vers elles. Cassie enserre son corps de ses bras. Elle aussi, elle a du mal à assimiler l’information. Tellement persuadée que si, ou quand ça arriverait, elle le saurait, que quelque chose frémirait ou s’éteindrait, tellement préparée à son réveil plutôt qu’à sa mort. Tellement peu préparée, surtout, à cette sensation qu’une part d’elle-même est morte avec lui.
— Comment ? Bredouille Emilie.
— Le cœur a lâché. Il parait que ça arrive.
— On est sûrs, cette fois ?
— Cette fois, il a bien été autopsié. Il est en dans un placard réfrigéré à la morgue, le torse ouvert et une étiquette sur l’orteil. Il est bel et bien mort. Ils ont cru qu’il allait se réveiller, mais… bref. Arrêt cardiaque, répète-t-elle. A priori, rien de surprenant. Philippe peut nous montrer des photos si on en a besoin.
— Non merci. Mais…
Raph la fait glisser sur le canapé pour prendre place sur l’accoudoir à côté d’Emilie, les couvant toutes deux d’un regard tendre. Cassie sourit. Elle se demande souvent d’où il peut sortir autant d’amour et de patience.
— Il est mort, murmure Emilie. Ça fait drôle. Je veux dire… je suis soulagée, c’est juste que je ne m’y attendais pas. Je me disais toujours qu’il était là, quelque part, et que peut-être, un jour… et maintenant… Il ne pourra plus jamais entrer dans ma tête. Plus personne ne le pourra. A part toi, mais je sais que tu ne le feras pas.
— Merci.
— De quoi ?
— D’y croire.
Emilie hausse les épaules.
— Tu penses… qu’il y a d’autres personnes comme vous, sur terre ? Capables de…
— Aucune idée, souffle Cassie, repliant ses jambes sous elle. Mais s’il en existe, elles n’ont aucune raison de venir s’entraîner sur toi.
Emilie fait la moue, Cassie grimace. Elle voulait… ils auront beau dire, elle sait, elle, que ce qu’elle lui a infligé lui a grillé le cerveau. Si elle en avait connu les conséquences, l’aurait-elle fait malgré tout ? Aurait-elle délibérément entraîné le coma, et sans doute la mort, de celui qui fut son mari ? Oui. Cet homme a tué… mon dieu, qu’il est difficile d’y penser. Elle effleure la cicatrice toujours visible sur son cou, et Raph reprend aussitôt place à ses côtés.
— Arrête, gronde-t-il, éloignant la main de son cou. Arrête de culpabiliser.
— Je ne…
Si, elle culpabilise. Mais il n’est pas censé le deviner, encore moins si tendrement, provoquant chez elle quelques sursauts défensifs de l’ancienne Cassie. Heureusement, Emilie se montre beaucoup moins tendre.
— Bon sang, mais tu es irrécupérable ! S’exclame-t-elle, bondissant sur ses pieds. Tu t’en veux d’avoir réglé son compte à un frère qui voulait te sauter avant de te liquider, tu t’en rends compte ? Si je n’avais pas été dans les vapes ce soir-là, j’aurais eu plus de cran que vous tous réunis et je lui aurais percé les roubignoles à coups de talons aiguille. Il serait sorti de cette cave dans un sac pour ce qu’il m’a fait. Alors maintenant, qu’il se fasse bouffer par les vers, réduire en cendres ou charcuter pour la science, ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. Sur ce, je vais faire mon brushing.
La porte de la salle de bains claque bruyamment. Fermer une porte délicatement, Emilie ne connait pas non plus. Cassie déglutit péniblement. Bien que justes, certains mots ont toujours du mal à passer.
— Je suis soulagée, murmure-t-elle sans regarder Raph qui n’a pas bougé. Oui, bien sûr que je suis soulagée, je suis libre, définitivement, et la simple idée qu’il aurait pu se réveiller me rend malade d’angoisse. Mais envers et contre tout, il a été… mon frère… et, mon dieu, mon mari. J’ai vécu plus de huit ans avec son ombre. C’est aussi une partie de moi qui disparait, tout un morceau, alors même si c’était un morceau mauvais, abîmé, pourri, j’ai ce vertige du saut sans filet de sécurité. La peur de l’inconnu, d’un moi allégé. Voilà.
Comme d’habitude, Raph agit vite et bien. Elle ne note son déplacement que lorsqu’il atterrit sur sa lèvre inférieure.
— Et si je faisais le filet de sécurité ? Glisse-t-il tout contre elle. Je pourrais même le faire dans la chambre, maintenant, tout de suite, avec rapidité et efficacité.
Raph est plutôt fier de sa métaphore. Il juge l’offre particulièrement adaptée et parfaitement minutée, dans le genre changement d’idées ou célébration de la vie, histoire de faire la nique une dernière fois à l’homme qui a failli lui enlever Cassie. Mais une fois de plus, sa sœur ne l’entend pas de cette oreille.
La porte de la salle de bains s’ouvre et se referme en douceur, son ô combien inhabituel lorsque provoqué par Emilie De Forest, qui apparaît devant eux sans serviette sur la tête, ses mèches blondes humides collées contre le cou, et Raph en est presque choqué. En deux ans de cohabitation, jamais il n’a croisé le casque blond autrement que rutilant.
— Qu’est-ce-qui se passe ? S’inquiète-t-il.
— Tu peux nous laisser ? Lance-t-elle d’une voix tendue.
Il jette un coup d’œil à Cassie, puis revient sur sa sœur. Mais non, c’est bien à lui qu’elle s’adresse, apparemment.
— Comment ça, vous laisser ?
— Comme « dégage de là et va attendre dans la chambre ». Je dois parler à Cassie.
— Tu… hein ? Toi ? Cassie ?
— Du vent, De Forest !
Sidéré, Raph obéit machinalement. Jamais Emilie n’a souhaité rester en tête à tête avec Cassie. Habituellement, sa présence est même requise dans le rôle du tampon, alors… alors il se demande bien si sa sœur va menacer sa nana ou si sa nana va tordre le cou de sa sœur. Dans les deux cas, pas très rassurant. Mais Raph est quelqu’un de discipliné, et surtout très conscient que s’opposer à deux femmes est aussi vain que désespéré. Il s’engage dans le couloir avec un soupir.
— Tu veux me parler ? Lance Cassie dans une tentative vouée à l’échec de dissimuler sa surprise.
Emilie hoche la tête, glissant ses mèches trempées derrière ses oreilles, puis reprend place dans le fauteuil moutarde et tire sur les pans de son peignoir. Les cheveux mouillés, sa tête parait deux fois plus petite, constate Cassie avec un sourire. Et fragile.
— Bon, marmonne Emilie les yeux rivés au tapis. Ça fait un mois que je suis là. Je ne vais pas rester ici à vie.
— Loin de moi cette idée.
Emilie lève les yeux au ciel.
— C’est bon, laisse tomber les sarcasmes. Ce n’était pas une critique. C’était sympa de m’accueillir, mais j’ai besoin d’espace et toi aussi.
Cassie pince les lèvres, hésitante. Elle prend ses cliques et ses claques, bon. Excellente nouvelle. La question étant : avec ou sans son frère ?
— Ne fais pas cette tête-là, ricane Emilie. Je ne vais pas t’enlever mon frère.
— Je… je n’ai pas…
— C’est ça, et moi je suis bonne sœur. Tu as le droit de dire que tu tiens à lui, ce n’est pas une tare. Bref, le truc, c’est que je ne peux pas retourner dans la maison. Je sais que tu y as beaucoup bossé et je te règlerai comme convenu. De toute façon, c’est une plus-value, mais… habiter là-bas après tout ça, c’est au-dessus de mes forces. Je vais la vendre.
Voilà. Là, Cassie se sent capable de réagir.
— Je m’y attendais, avoue-t-elle, et je te comprends. Je connais un bon agent immobilier. On bosse souvent avec elle, elle aura la clientèle adéquate.
— Génial, oui. Merci.
Elle s’interrompt, ébauchant un sourire amusé.
— Tu entends comme je te remercie sans même une grimace ?
— J’entends, ricane Cassie. Mais fais gaffe à la crise d’urticaire, quand même.
— Attends que j’aie fini, ça risque d’arriver. Donc du coup, je dois trouver où je veux vivre. Je me sens bien, ici. Ça me fait mal de le dire, mais au fond, je t’aime bien.
Elle lève une main pour l’inspecter à la lumière du jour.
— Ça alors, toujours pas d’urticaire. Bon. Je sais que tu rends Raph heureux. Par contre, tu devrais vraiment lui dire que tu l’aimes.
— Pardon ?
Les yeux écarquillés sur son canapé violet, Cassie tire sur son sweat-shirt.
— Ouais, soupire Emilie, je sais, venant de moi… mais justement, on est bien placées, toi et moi, pour savoir à quel point ce genre de trucs ne tient qu’à un fil. Et à quel point on regrette de ne pas l’avoir assez dit quand le fil casse.
Cassie inspire longuement. Puis prend les choses en main.
— Tu veux une bière ?
— Quoi ?
— Une bière.
— Il est onze heures du matin.
— Et la sœur de mon mec me donne des conseils amoureux. J’ai besoin de quelque chose de plus fort qu’un thé. Tu veux une bière, oui ou non ?
Emilie hésite, apparemment prise de court, puis hausse les épaules.
— Après tout… pourquoi pas.
Cassie souffle. Les trois mètres jusqu’à la cuisine lui laissent le temps d’encaisser ce qu’elle vient d’entendre et de se préparer à la suite, parce qu’elle sent bien que ce n’est pas fini.
— Merci, lance Emilie en s’emparant de la bouteille. Tu aurais… non laisse tomber, pas besoin de verre. Je m’encanaille. Tu as vraiment une mauvaise influence sur moi.
Cassie éclate de rire, incapable de résister à l’humour De Forest.
— Donc, toussote feu le brushing chromé, actuellement plus proche de la serpillère imbibée. Comme je te l’ai dit, je me sens bien, ici. Vous, cet immeuble, ce quartier… Sarah m’a parlé de l’appartement qui s’est libéré au-dessus du tien. Je l’ai acheté.
Cette fois, Cassie ne rit pas. Elle recrache sa bière sur le tapis. Puis sans aucun scrupule, dénude un coussin de sa housse et s’en sert pour éponger le tapis, le cerveau en rémoulade.
— Tu as… quoi ?
Emilie rougit, toute fanfaronnade évaporée.
— Je me doute que ça te fait drôle, mais… bon, je viens juste de signer le compromis, si ça te pose un problème, je peux toujours… Je ne peux pas m’éloigner complètement de Raph, débite-t-elle à toute allure. Pas encore, pas déjà. Je commence à peine à le retrouver. Et puis ça me rassure de te savoir là, même si parfois c’est compliqué, je sais que tu veilles, et non que ça me plaise mais par la force des choses, tu me connais par cœur… ça craint, pourtant mon filet de sécurité à moi, maintenant, c’est Raph et toi, Julie et Sarah, et même Sylvain avec ses horribles roulées et ses blagues salaces, je m’y suis habituée. Quant aux parents de Sarah, ils sont juste… parfaits, et ça me fait tellement de bien, soupire-t-elle, de voir des parents normaux, alors je… je ne vous gênerai pas, je serai au-dessus, et Raph pourra venir de temps en temps, peut-être…
— Emilie, Emilie, temps mort ! Laisse à mon cerveau le temps de redémarrer.
Et dieu sait qu’il en a besoin. Cassie pose sa bière et reprend son thé, parce que finalement, il est tout de même un peu tôt et le brunch trop récent.
— Je n’ai jamais dit que je ne voulais pas, bougonne-t-elle. Mais je ne m’attendais pas à ça. Je ne savais même pas que l’appartement au-dessus était vide, d’ailleurs.
— Donc tu es d’accord ?
— Depuis quand tu as besoin de mon approbation ?
— Depuis que tu te tapes mon frangin et que tu as fouillé dans ma tête. Tu as du y implanter deux-trois trucs pas nets.
Cassie sourit, plus à l’aise avec l’Emilie caustique qu’avec l’Emilie fébrile.
— Ouais, ricane-t-elle. J’ai fait de toi ma chose, ça explique pourquoi tu persistes à vider le gel douche sans en racheter, j’adore ça. Mais si tu as vraiment besoin de mon approbation, tu l’as. Evidemment.
Recoiffant avec agacement ses mèches humides, Emilie en plaque une en travers de son front. Puis captant le sourire hilare de Cassie, la repousse avec un regard noir.
— Je me demande vraiment pourquoi, siffle-t-elle, mais oui, ça compte. Je te l’ai dit, tu m’as trituré les méninges. Donc au-dessus, tu pourrais me donner un coup de main, avec Sarah… il y a juste à refaire les peintures, aménager et décorer. Je te paierai.
Cassie se penche le temps de reposer son thé puis se cale confortablement au fond des coussins violets, se demandant bien quand la blondasse va se décider à aborder le sujet de son frère.
— Non, grogne-t-elle. Moi aussi ça me fait mal de le dire, mais moi aussi je t’aime bien. Si tu veux tout savoir, on se ressemble trop. Quand je te regarde, je vois tous mes défauts et ça me rend folle.
— Tu confonds. Ce ne sont pas les défauts que tu vois, mais les qualités que tu n’as pas.
Heureusement pour elle, le sourire dément ses propos. Cassie hausse un sourcil et lui renvoie son rictus.
— Bref, poursuit-elle. Pour la maison, c’était différent, tu n’étais que la cliente casse-bonbons. Je ne sais même pas vraiment comment c’est arrivé, mais tu fais dorénavant partie de la tribu, pour le pire et le meilleur. Tu as intérêt à apprécier parce que cette tribu, c’est ma famille, et que je n’avais même pas vraiment conscience de l’avoir avant tout ça. Alors on t’aidera tous, tu ne paieras que les fournitures et les apéros, et si tu cavales en pleine nuit avec tes talons aiguille sur le parquet je glisse des cafards sous ta porte.
Emilie s’esclaffe. Cassie repousse ses boucles derrière son épaule en songeant que sérieusement, si Emilie habite juste au-dessus, ils vont devoir lui dénicher des tapis sacrément épais. Voire de la moquette, en plus des fameux chaussons fourrés.
— Merci, soupire finalement Emilie, abandonnant la bière qu’elle n’a pas touchée. D’avoir dit que je faisais partie de la tribu.
Un silence s’installe. Emilie replace son peignoir haut de gamme, jambes artistiquement croisées. Cassie replace son short violet orné d’un trou à la couture, constatant avec amusement que les mèches blondes commencent à onduler en séchant. Emilie est une fausse lisse.
— Bon, et Raph ? Lance-t-elle soudain à brûle-pourpoint.
— Quoi, Raph ?
Emilie lui décoche un regard gris tout d’abord surpris, puis forcément, carrément railleur. Cassie se mord la langue.
— Tu veux qu’il s’en aille ?
— Je n’ai pas dit ça, marmonne Cassie.
— Alors tu croyais que je voulais le faire vivre avec moi là-haut ?
— Je…
— Tu préfèrerais ?
— Je n’ai pas dit ça non plus.
— Bon sang, mais pourquoi tu ne peux pas le dire franchement ? Et pourquoi tu ne lui dis jamais que tu l’aimes, d’abord ?
Cassie soupire et rejette la tête en arrière. Le regard d’Emilie est acéré, mais plus concerné que moqueur, et dans tout ça, elle n’a toujours pas de réponse directe.
— Il t’en a parlé ? Hésite-t-elle.
— Oui.
Génial. Mais sans doute l’a-t-elle cherché. Elle relève la tête et dévisage Emilie.
— Qu’est-ce-qu’il t’a dit ?
— Que tu as besoin de temps, qu’il le comprend et que ça lui suffit.
— Il ment mal.
— Ouais. Mais il ne mentait jamais, avant toi.
— Forcément, tu le faisais pour deux.
— Cassie, lâche Emilie sans un rire. Sérieusement. Pourquoi tu ne lui dis pas ? Tu l’aimes, ça crève les yeux.
— Je n’arrive pas à franchir le cap, murmure-t-elle à contrecœur. J’ai peur que tout s’arrête.
— Et si tout s’arrête avant que tu l’aies dit ?
La fuite ou l’insulte ? Cassie hésite, le nez dans ses contradictions.
— Ça me dépasse, conclut Emilie. Tu as failli mourir, tu aurais pu perdre Raph sans jamais lui avoir dit ce que tu ressens et ça ne t’a pas fait réfléchir ? Tu es capable de tenir tête à un psychopathe, mais tu as peur de quelques mots ? Ça n’a pas de sens, ma vieille. Tu fuis, c’est lâche et mon frère mérite mieux que ça.
Oh oui, le nez dedans, et c’est nauséabond. Cassie pousse un profond soupir. Elle a beau vouloir changer, avoir changé, les réflexe ont la vie dure et son premier réflexe à elle, c’est la fuite. Chaque jour est une lutte.
— C’est bon, capitule-t-elle, j’entends ce que tu me dis. J’y travaille, ok ?
— Ouais, marmonne Emilie, les yeux plissés. Mais je te jure que si tu fais du mal à mon frangin, je t’arrache les boucles une à une. Bon. Donc tu vas devoir demander à Raph s’il veut emménager officiellement ici.
— Quoi ? Moi ?
— Tu préfères que sa sœur lui demande s’il veut vivre chez sa nana ? Parce que je serais ravie de te faire passer pour une gamine indécise, sache-le. Voilà, moi j’ai tout dit. Maintenant je vais faire mon brushing ou je vais finir par te ressembler.
Cassie ouvre la bouche, puis la referme. La porte de la salle de bains claque bruyamment et elle enfouit son visage dans ses mains, effarée une fois de plus par sa propre couardise.
S’exposer. Pour avoir Raph, là, comme ça, à demeure et pour de bon… Ecartant un doigt, elle jette un coup d’œil à son malheureux salon, offrant à l’œil averti chaussettes sous les fauteuils, mugs sales sur la bibliothèque et même un tube de dentifrice sur le tapis. Le bouquet de fleurs abrite des miettes ou des stylos et sous la table basse, Superman et sa clique ensevelissent peu à peu la jolie collection de bougies parfumées.
Puis de la chambre lui parvient un bruit de choc suivi d’une guirlande de jurons, indiquant que Raph a une fois de plus mal manœuvré sa chaise à roulettes dans l’étroit espace de la chambre, et elle sourit derrière ses doigts.
Raph cligne obstinément des yeux. Il ne cèdera pas. Il ne s’endormira pas, il percera leur ignoble secret, et ce en dépit de l’insupportable somnolence envahissant peu à peu ses membres. On est samedi, il n’est même pas midi, il s’est goinfré de croissants et vient de se faire quasiment violer par une splendide rouquine qui veut bien tout, sauf discuter. Elle l’a épuisé, et elle le sait, suppose-t-il à son petit sourire satisfait.
Il cligne à nouveau. Elle n’est jamais aussi belle qu’après l’amour, avec sa mine de pêche bien mûre, mais cette fois quelque chose flotte derrière ses joues roses. Elle le contemple d’un air préoccupé. Beaucoup trop préoccupé. Qu’est-ce-qu’a bien pu lui dire Emilie, bon dieu ?
Etendue contre son flanc, en appui sur un coude, les boucles emmêlées et malheureusement très bien réveillée, Cassie continue à le fixer. Raph cligne. Péniblement. Il tente d’ouvrir la bouche, mais vraiment, il est épuisé. Il règlera la question juste après un tout petit somme, juré. Et il lui demandera aussi pourquoi elle le contemple avec une telle concentration.
— Cassie ? Raph ? Vous êtes là ?
La voix s’insinue sous la porte avec toute la puissance de Sarah. Cassie, déjà hors du lit, regarde ouvrir les yeux dans un sursaut tout en enfilant un pantalon couleur malabar. Son cœur bat à toute allure. Elle se sent parfaitement ridicule, mais il est trop tard pour faire machine arrière.
— C’est Sarah, lance-t-elle en baissant les yeux.
— J’ai dormi ? Hésite Raph.
— Pas du tout, sourit Cassie devant la marque d’oreiller sur sa joue. Je vais voir ce qu’elle a, prends ton temps.
Raph saute déjà à bas du lit qu’elle se précipite dans le couloir, incapable d’assumer ses actes. Elle se dirige vers le salon d’un pas vif et tente de ne pas y penser.
— Sylvain a conclu !
Cassie se fige à l’entrée de la pièce, hilare. Sarah et Julie sont affalées l’une sur l’autre en travers du canapé, et Sarah claironne depuis le cou de sa compagne, lui postillonnant probablement dans les cheveux.
— Quoi ?
— Sylvain et Mag ! Répète Sarah, se relevant laborieusement. Ça y est ! Il a conclu !
— Ne me dis pas qu’il t’a appelée exprès pour te l’annoncer, ricane Cassie.
Elle traverse le salon pour se laisser tomber sur un pouf à fleurs, en face du canapé sur lequel Sarah hoche fièrement la tête.
— Si. Une vraie midinette, et je peux te dire qu’il est mordu.
— Il ne nous a pas fait une seule blague cochonne, souligne Julie.
— Alors c’est grave, sourit Cassie. J’espère qu’il ne va pas se planter, parce qu’elle l’attend au tournant.
— On verra ça ce soir, ils viennent dîner.
— Non ! Ce soir il y a…
— Relax, la coupe Raph, en les rejoignant. Au contraire, c’est tant mieux.
Oh mon dieu. Il a mis un tee-shirt blanc. Cassie s’empourpre violemment sous le regard de Sarah tandis que Raph prend place à côté d’elle, puis en désespoir de cause, se glisse devant lui et s’adosse à son torse.
— Y a quoi, ce soir ? Demande Julie à point nommé.
— Trois potes qui viennent diner, répond Raph. Deux en couple, donc cinq.
Cassie pique du nez, de plus en plus embarrassée. Elle ne l’a pas vue venir, celle-là. En fait, elle ne s’est pas posé la question. Elle n’a pas prévu que lui aussi, il aurait des amis. Qu’il mettrait tout en suspens pour se concentrer sur elle, et qu’ensuite, elle devrait les rencontrer, les amis, et se rendre malade à l’idée de ne pas être assez… d’être trop… elle effleure son oreille. Elle était peut-être moins heureuse avant Raph, mais elle était moins stressée.
Raph pose le menton sur le crâne de Cassie avec un sourire de mâle épanoui. D’une, il a dû sacrément assurer dans la chambre pour qu’elle vienne spontanément se blottir tout contre lui ; de deux, il sait dans quel état cette soirée la met et s’en trouve bêtement touché. Parce que Cassie Willis, imperturbable devant un parterre de flics perplexes, se ratatine comme un Chamallow dans le feu à l’idée de ne pas plaire à ses amis à lui.
— Arrête de te mettre martel en tête, chuchote-t-il à ses cheveux. Ils vont t’adorer. Et si ce n’est pas le cas, je change d’amis.
— T’inquiète, intervient Sarah, on t’adoptera. Et pas de souci, Mag et Sylvain dîneront chez nous.
Chez nous. Raph, un poil envieux, note que Sarah dit « chez nous » alors que Julie n’y habite même pas complètement. Cassie dit « chez moi ».
— Non, proteste-t-il, au contraire. Tout le monde fera connaissance en même temps. Comme ça si je dois les jeter, vous m’aiderez.
— Cool, conclut Sarah. Cassie, je ferai ta promo toute la soirée, tu verras.
— Non ! S’exclame Cassie, se redressant avec horreur. Non. Surtout, ne fais rien.
— Même pas drôle.
Elle va devoir sortir un deuxième rôti du congélateur. Cassie se lance dans des calculs d’apothicaire, concentrée sur le menu pour ne pas penser au reste, ni aux amis de Raph, ni à ce qu’il cache sous son tee-shirt. Il n’a pas vu. Forcément, sans quoi il ne resterait pas sans rien dire. Si ? Non.
— Si tu n’as rien prévu, je peux te faire une salade de fruits, propose Julie. On est allées au marché.
— Tu as réussi à traîner Sarah au marché un samedi matin ?
— Vingt minutes de négociations et deux tasses de café.
— Et tout ça pour quoi ? Marmonne Sarah. C’est loin, ça sent mauvais et je reçois les mêmes fruits sur le pas de ma porte en commandant par internet. Bref. J’ai eu mon père au téléphone. Ça va ?
Cassie sourit. Elle baisse les yeux, tombant sur les doigts de Raph entrelacés aux siens. Comment finissent-ils toujours emmêlés sans qu’elle s’en rende compte ? Est-ce elle qui le cherche ou lui qui la traque?
— Ça va, assure-t-elle. Promis.
— Sûre ?
— Sûre.
— Bon. Parce que si tu préfères, on peut repousser le chantier d’encore quelques jours, il suffit de…
— Ah non ! On l’a déjà trop repoussé. Un mois de vacances ça suffit, je m’ennuie. On commence lundi et on repousse les avances du vieux crado comme prévu.
— On va bien rigoler, se réjouit Sarah. J’essuie la première salve, ensuite c’est ton tour.
— Comment ça, un gros crado ? Intervient Raph.
— T’occupe, le rassure Sarah. S’il insiste trop, Cassie lui vomira dessus.
— Une fois, peste Cassie. C’est arrivé une fois.
— Ouais, mais c’était très efficace.
— Emilie n’est pas là ? Demande Julie.
Le mystère de l’année. Julie et Emilie s’entendent comme larrons en foire.
— Suis le bruit du sèche-cheveux, rétorque Cassie.
Raph ricane puis gigote maladroitement, tentant de ne pas faire remarquer à Cassie qu’elle lui écrase les roustons avec sa ceinture. Et puisqu’il est diplomate, il recule discrètement, faisant mine de s’étirer.
— Qu’est-ce-que c’est que ça ? S’exclame subitement Sarah.
Il se fige les bras en l’air, indécis. Sarah fixe obstinément son torse. Une fraction de seconde plus tard, Julie écarquille les yeux dans la même direction. Raph commence à flipper.
— Quoi, ça ?
— Et, euh… bredouille Cassie, se collant à nouveau contre lui. Pour ce soir, vous pouvez amener…
— Attends, l’interrompt Sarah. Raph a un truc noir sur le torse.
— Effet de lumière. Donc si vous pouvez…
— Non, je te jure ! Raph, lève-toi !
Cessant de se tâter le torse à la recherche d’un troisième téton nouveau-né, Raph obéit.
— Ce n’est rien ! Lance Cassie. Pas la peine de…
Cette fois, il est carrément intrigué. Parce que Raph est déjà debout, et Cassie écarlate. Or Cassie ne rougit jamais. Il tire sur son tee-shirt, mais constate rapidement que le soi-disant effet de lumière n’en est pas un et ne vient pas du tee-shirt. Il retire donc tout simplement le vêtement.
— La vache! S’écrie Sarah. Qu’est-ce-que c’est que ça ?
— Des lettres ?
Raph dévisage tour à tour Julie, puis Sarah, puis Cassie. Qui plonge la tête dans les coussins avec un gémissement.
— Tu m’as écrit sur la peau ? S’étonne-t-il. Mais pourquoi ? Qu’est-ce-que tu as écrit ?
— C’est quoi, ce délire ? Lance subitement Emilie, jaillissant dans la pièce.
Cassie se contente d’un gémissement, la tête entre les coussins. Raph n’y comprend rien. La blague est moyennement drôle et ressemble assez peu à Cassie. Il se tord le cou pour tenter de déchiffrer les grosses lettres noires.
— C’est à l’envers, bande de nazes, déclare sa sœur avec un sourire. C’était seulement pour lui, mais elle n’a visiblement pas poussé la réflexion très loin. Miss carotte s’est enfin décidée, alors ?
— A l’envers ! S’écrie Sarah, trépignant sur le canapé. Nom de dieu, à l’envers, bien sûr ! Le miroir, Raph. Bon sang ma poule, tu t’es lâchée ! Qu’est-ce-que tu ne ferais pas pour éviter de parler, hein ?
Cassie secoue la tête dans les coussins. Raph se précipite devant le miroir de l’entrée.
« JE T’AIME. VIS AVEC MOI. »
Il va se liquéfier sur le tapis. Là, comme ça, bêtement et devant tout le monde. Non. Il éclate de rire puis repart en courant dans le salon pour extirper sa rouquine des coussins. Ni une ni deux, il la soulève de force et prend la direction de la chambre en ignorant les hurlements de rire derrière lui, la crinière fauve enfouie dans son cou, apparemment pétrifiée de honte alors que lui sent son cœur lutter pour quitter une cage thoracique soudain trop étroite.
— Moi aussi, chuchote-t-il aux boucles, ouvrant la porte d’un coup de pied. Et oui. Mais tu vas devoir l’assumer, ta déclaration, parce que c’était un marqueur indélébile.
Raph hausse un sourcil. Emilie s’immobilise au milieu du salon, son talon nu battant impatiemment le parquet, puis lève les yeux au ciel et repousse une mèche blonde.
— C’est bon, soupire-t-elle. Elle avait compris. Cassie, me ferais-tu l’honneur de me louer ta douche ?
— Loues-moi ton frère pendant ta douche et on a un accord.
— Vendu. Tu n’auras qu’à le ranger dans son tiroir quand tu n’en auras plus besoin.
— Eh !
Raph fait mine de s’indigner, mais mine seulement. D’une, parce qu’affalé sur un canapé violet avec des miettes de croissant dans la barbe et un caleçon Captain America, il perd indéniablement en crédibilité. De deux, parce qu’il ne se lasse pas de ce miracle quotidien. Elles sont là, et elles rient.
Emilie est à nouveau casquée de platine, la boucle de Cassie repousse lentement, le regard gris s’éveille et le vert s’apaise, jour après jour, nuit après nuit. L’ombre des cicatrices est encore visible Les cicatrices invisibles, c’est pire. Mais elles sont en convalescence, le reste suivra, Raph est quelqu’un d’optimiste. La preuve, il croit dur comme fer qu’elles finiront par s’apprécier ouvertement.
Des chaussons fourrés. Tandis qu’Emilie claque vigoureusement la porte de la salle de bains, Cassie se dit qu’avec des chaussons fourrés, peut-être réussira-t-elle à adoucir la démarche d’Emilie et l’humeur des voisins du dessous.
— Tu as entendu ? Lui glisse Raph à l’oreille. Elle t’a posé une question avec point d’interrogation.
— Ouais. Et moi j’ai fait de l’humour.
— Quand je te dis que vous allez devenir copines !
— Ben voyons, et toi tu vas finir ton roman sur une happy end, aussi ?
— Qui sait ? Après ces dernières semaines, je me verrais bien écrire l’anthologie des Bisounours.
Collée contre lui sur le canapé, Cassie lui décoche un sourire. Pour en avoir visité certains tunnels en direct, Raph explore désormais les méandres du mal avec détachement, noircissant planche après planche sur le minuscule bureau aménagé dans la chambre. Il relativise. Et ces derniers temps, le voyant penché sur ses feuilles la langue tirée, Cassie ressent de drôles de trucs, comme une envie de dire des choses qu’elle ne voulait plus jamais dire.
Un mois, déjà. Un mois qu’il encaisse sans broncher. Il a tout vu, tout entendu, tout accepté, ne l’a pas touchée avant qu’elle soit prête. Il l’oblige à digérer à sa façon, à coups de blagues plus ou moins douteuses ou en l’ignorant purement et simplement lorsqu’elle tente de le mettre dehors, ce qui est arrivé deux fois mais n’a pas semblé ébranler Raph le moins du monde.
Sans doute parce qu’il n’est pas stupide, et qu’elle dissimule très mal ses sentiments. Bon, oui, d’accord, elle est amoureuse, voilà. Après tout ça, après ce qu’elle a traversé, elle se découvre amoureuse comme une midinette et très franchement, soyons lucide, c’est ridicule.
Ce le serait, du moins, si cet état de transe extatique ne lui avait pas permis de survivre aux dernières semaines, à la plaie béante laissée par Ian, à la plongée qu’elle a dû s’imposer dans l’esprit brisé d’Emilie, à l’angoisse que Ian n’émerge de son coma à n’importe quel moment. Sûr.
Il est toutefois regrettable que ce fameux état de transe extatique l’ait menée, dans un moment de faiblesse, à offrir l’asile aux De Forest.
— Allez, insiste Raph. Avoue que tu l’aimes bien, ma sœur.
— Autant qu’une épilation du maillot.
— Hier, elle t’a fait pleurer de rire.
— Comme une épilation du maillot.
Il s’esclaffe sans scrupule, pas dupe pour deux sous. Oui, il y aura toujours quelque chose de bancal entre Cassie et Emilie. Elles sont devenues deux facettes d’une même histoire, jamais face à face mais toujours associées.
Sa sœur est caustique, railleuse, autoritaire et parfois hautaine, mais drôle. Or il se trouve que Cassie est particulièrement sensible à l’humour De Forest. Il le sait, il le sent, une amitié distante rôde dans les parages.
Il glisse un doigt sous l’élastique du short violet avec un soupir lavasse. Pas de culotte. Oubliées armure, tourelle et mâchicoulis, elle ne conserve qu’un bunker miniature en cas de dispute et lui pourrait juste rester là, dans un coin, à la regarder vivre, sans perdre ce bonheur béat qui ne le quitte plus. Et si Emilie semble relativement consternée par la disparition des neurones fraternels au moindre sourire de Cassie, lui le vit très, très bien. Il est heureux comme un pape.
— Où est mon téléphone ?
Raph tressaille, surpris. Il n’a pas entendu sonner le portable de Cassie. Puis il perçoit le son ténu d’une vibration, comme étouffée, sous…
— Devine, ricane-t-il subitement. Ce chat a un problème avec les téléphones.
— Gruyère ! S’indigne Cassie.
Trônant sur le comptoir, œil plissé et fourrure tigrée vibrant sous les impulsions du portable de Cassie qu’il couve consciencieusement, Gruyère ne remue pas un muscle. Il laisse Cassie le soulever d’une main pour récupérer son téléphone, puis s’affale de tout son long et ferme les yeux. Raph sourit. Il va lui manquer, ce chat, lorsque madame Ribaudet sortira de l’hôpital. Il a eu beau protester lorsque la vieille dame les a suppliés de s’en occuper, il s’y est finalement attaché. Le côté branleur indolent, sans doute.
— Salut Philippe. Bien, et toi ?
Philippe. Ami. Raph dévore des yeux la rouquine au téléphone qui revient s’affaler contre lui en toute confiance, short violet sur canapé violet et sweat-shirt mollasson. Son pyjama est hideux. Le secret réside dans l’absence de sous-vêtements.
Il l’attire un peu plus près de lui, ce qui revient à la jucher sur ses genoux, et tente de capter la voix de Philippe dans le téléphone. Pour le monde extérieur, l’histoire est simple : un homme dérangé, une femme enlevée, happy end. Officiellement, le coma n’est que la conséquence de la chute. Officieusement, les coups portés par Sylvain, puis par Raph, peuvent être responsables au même titre que les actes de Cassie, actes que Raph n’a toujours pas compris, d’ailleurs, et qu’il n’est pas certain de vouloir comprendre. Il sait seulement que lorsque depuis ce soir-là, elle semble en paix avec elle-même, comme si elle avait digéré ses huit années de souffrance. Il prie donc de tout cœur pour qu’Irvin Alexander ne sorte jamais de ce coma.
— Tu es sûr ? Mais je croyais qu’il… oui, je sais. J’aurais pensé… bon. Tu es vraiment sûr ?
Raph fronce les sourcils et de force, empoigne le téléphone pour activer le haut-parleur. Les taches de rousseur viennent de s’évanouir.
— … de simuler ça, résonne soudain la voix de Philippe. Alors oui, je suis sûr et certain. Bon, je dois te laisser, j’y suis encore. Je te rappellerai ce soir pour savoir comment tu vas.
Cassie tire sur la louve à son oreille, comme toujours débordée par l’amour dont l’entourent Philippe et Muriel. Qui depuis cette histoire, ne réfrènent plus leurs pulsions affectives et l’inondent de câlins ou de questions qu’elle peut difficilement repousser.
— Je vais bien, le rassure-t-elle. Promis. Et on se voit tous pour déjeuner demain, pas la peine d’appeler ce soir, mais merci.
— Mmm. Tu es sûre que… Raph est là ?
— Oui, il est à côté de moi.
— D’accord. Bon. Embrasse-le, parle à Emilie et je vous en dirai plus demain. Prends soin de toi, ma puce. Et encore une fois, pas de doute. C’est pour de bon.
— Merci. Et merci d’avoir appelé. A demain.
Elle raccroche lentement, le regard ardoise collé aux basques. Elle ne sait pas quoi penser. Vraiment. Si encore elle parvenait à saisir toute la portée de…
— Cassie ? Qu’est-ce-qui se passe ?
— Emilie ! Hurle-t-elle.
— Cassie ! Insiste Raph.
— Emilie !
La porte de la salle de bains s’ouvre à la volée, libérant un nuage de vapeur. Une serviette sur les cheveux et la mine passablement furieuse, Emilie en jaillit dans un peignoir gris.
— Quoi ? Tu es obligée de beugler comme ça ? Je n’ai pas eu le temps de faire mon brushing !
Toujours perchée sur les genoux de Raph, Cassie se penche en avant.
— Il est mort, lâche-t-elle.
Emilie ouvre la bouche puis se laisse pesamment tomber sur le fauteuil jaune moutarde. Raph ne dit rien, ne bouge pas, tendu vers elles. Cassie enserre son corps de ses bras. Elle aussi, elle a du mal à assimiler l’information. Tellement persuadée que si, ou quand ça arriverait, elle le saurait, que quelque chose frémirait ou s’éteindrait, tellement préparée à son réveil plutôt qu’à sa mort. Tellement peu préparée, surtout, à cette sensation qu’une part d’elle-même est morte avec lui.
— Comment ? Bredouille Emilie.
— Le cœur a lâché. Il parait que ça arrive.
— On est sûrs, cette fois ?
— Cette fois, il a bien été autopsié. Il est en dans un placard réfrigéré à la morgue, le torse ouvert et une étiquette sur l’orteil. Il est bel et bien mort. Ils ont cru qu’il allait se réveiller, mais… bref. Arrêt cardiaque, répète-t-elle. A priori, rien de surprenant. Philippe peut nous montrer des photos si on en a besoin.
— Non merci. Mais…
Raph la fait glisser sur le canapé pour prendre place sur l’accoudoir à côté d’Emilie, les couvant toutes deux d’un regard tendre. Cassie sourit. Elle se demande souvent d’où il peut sortir autant d’amour et de patience.
— Il est mort, murmure Emilie. Ça fait drôle. Je veux dire… je suis soulagée, c’est juste que je ne m’y attendais pas. Je me disais toujours qu’il était là, quelque part, et que peut-être, un jour… et maintenant… Il ne pourra plus jamais entrer dans ma tête. Plus personne ne le pourra. A part toi, mais je sais que tu ne le feras pas.
— Merci.
— De quoi ?
— D’y croire.
Emilie hausse les épaules.
— Tu penses… qu’il y a d’autres personnes comme vous, sur terre ? Capables de…
— Aucune idée, souffle Cassie, repliant ses jambes sous elle. Mais s’il en existe, elles n’ont aucune raison de venir s’entraîner sur toi.
Emilie fait la moue, Cassie grimace. Elle voulait… ils auront beau dire, elle sait, elle, que ce qu’elle lui a infligé lui a grillé le cerveau. Si elle en avait connu les conséquences, l’aurait-elle fait malgré tout ? Aurait-elle délibérément entraîné le coma, et sans doute la mort, de celui qui fut son mari ? Oui. Cet homme a tué… mon dieu, qu’il est difficile d’y penser. Elle effleure la cicatrice toujours visible sur son cou, et Raph reprend aussitôt place à ses côtés.
— Arrête, gronde-t-il, éloignant la main de son cou. Arrête de culpabiliser.
— Je ne…
Si, elle culpabilise. Mais il n’est pas censé le deviner, encore moins si tendrement, provoquant chez elle quelques sursauts défensifs de l’ancienne Cassie. Heureusement, Emilie se montre beaucoup moins tendre.
— Bon sang, mais tu es irrécupérable ! S’exclame-t-elle, bondissant sur ses pieds. Tu t’en veux d’avoir réglé son compte à un frère qui voulait te sauter avant de te liquider, tu t’en rends compte ? Si je n’avais pas été dans les vapes ce soir-là, j’aurais eu plus de cran que vous tous réunis et je lui aurais percé les roubignoles à coups de talons aiguille. Il serait sorti de cette cave dans un sac pour ce qu’il m’a fait. Alors maintenant, qu’il se fasse bouffer par les vers, réduire en cendres ou charcuter pour la science, ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. Sur ce, je vais faire mon brushing.
La porte de la salle de bains claque bruyamment. Fermer une porte délicatement, Emilie ne connait pas non plus. Cassie déglutit péniblement. Bien que justes, certains mots ont toujours du mal à passer.
— Je suis soulagée, murmure-t-elle sans regarder Raph qui n’a pas bougé. Oui, bien sûr que je suis soulagée, je suis libre, définitivement, et la simple idée qu’il aurait pu se réveiller me rend malade d’angoisse. Mais envers et contre tout, il a été… mon frère… et, mon dieu, mon mari. J’ai vécu plus de huit ans avec son ombre. C’est aussi une partie de moi qui disparait, tout un morceau, alors même si c’était un morceau mauvais, abîmé, pourri, j’ai ce vertige du saut sans filet de sécurité. La peur de l’inconnu, d’un moi allégé. Voilà.
Comme d’habitude, Raph agit vite et bien. Elle ne note son déplacement que lorsqu’il atterrit sur sa lèvre inférieure.
— Et si je faisais le filet de sécurité ? Glisse-t-il tout contre elle. Je pourrais même le faire dans la chambre, maintenant, tout de suite, avec rapidité et efficacité.
Raph est plutôt fier de sa métaphore. Il juge l’offre particulièrement adaptée et parfaitement minutée, dans le genre changement d’idées ou célébration de la vie, histoire de faire la nique une dernière fois à l’homme qui a failli lui enlever Cassie. Mais une fois de plus, sa sœur ne l’entend pas de cette oreille.
La porte de la salle de bains s’ouvre et se referme en douceur, son ô combien inhabituel lorsque provoqué par Emilie De Forest, qui apparaît devant eux sans serviette sur la tête, ses mèches blondes humides collées contre le cou, et Raph en est presque choqué. En deux ans de cohabitation, jamais il n’a croisé le casque blond autrement que rutilant.
— Qu’est-ce-qui se passe ? S’inquiète-t-il.
— Tu peux nous laisser ? Lance-t-elle d’une voix tendue.
Il jette un coup d’œil à Cassie, puis revient sur sa sœur. Mais non, c’est bien à lui qu’elle s’adresse, apparemment.
— Comment ça, vous laisser ?
— Comme « dégage de là et va attendre dans la chambre ». Je dois parler à Cassie.
— Tu… hein ? Toi ? Cassie ?
— Du vent, De Forest !
Sidéré, Raph obéit machinalement. Jamais Emilie n’a souhaité rester en tête à tête avec Cassie. Habituellement, sa présence est même requise dans le rôle du tampon, alors… alors il se demande bien si sa sœur va menacer sa nana ou si sa nana va tordre le cou de sa sœur. Dans les deux cas, pas très rassurant. Mais Raph est quelqu’un de discipliné, et surtout très conscient que s’opposer à deux femmes est aussi vain que désespéré. Il s’engage dans le couloir avec un soupir.
— Tu veux me parler ? Lance Cassie dans une tentative vouée à l’échec de dissimuler sa surprise.
Emilie hoche la tête, glissant ses mèches trempées derrière ses oreilles, puis reprend place dans le fauteuil moutarde et tire sur les pans de son peignoir. Les cheveux mouillés, sa tête parait deux fois plus petite, constate Cassie avec un sourire. Et fragile.
— Bon, marmonne Emilie les yeux rivés au tapis. Ça fait un mois que je suis là. Je ne vais pas rester ici à vie.
— Loin de moi cette idée.
Emilie lève les yeux au ciel.
— C’est bon, laisse tomber les sarcasmes. Ce n’était pas une critique. C’était sympa de m’accueillir, mais j’ai besoin d’espace et toi aussi.
Cassie pince les lèvres, hésitante. Elle prend ses cliques et ses claques, bon. Excellente nouvelle. La question étant : avec ou sans son frère ?
— Ne fais pas cette tête-là, ricane Emilie. Je ne vais pas t’enlever mon frère.
— Je… je n’ai pas…
— C’est ça, et moi je suis bonne sœur. Tu as le droit de dire que tu tiens à lui, ce n’est pas une tare. Bref, le truc, c’est que je ne peux pas retourner dans la maison. Je sais que tu y as beaucoup bossé et je te règlerai comme convenu. De toute façon, c’est une plus-value, mais… habiter là-bas après tout ça, c’est au-dessus de mes forces. Je vais la vendre.
Voilà. Là, Cassie se sent capable de réagir.
— Je m’y attendais, avoue-t-elle, et je te comprends. Je connais un bon agent immobilier. On bosse souvent avec elle, elle aura la clientèle adéquate.
— Génial, oui. Merci.
Elle s’interrompt, ébauchant un sourire amusé.
— Tu entends comme je te remercie sans même une grimace ?
— J’entends, ricane Cassie. Mais fais gaffe à la crise d’urticaire, quand même.
— Attends que j’aie fini, ça risque d’arriver. Donc du coup, je dois trouver où je veux vivre. Je me sens bien, ici. Ça me fait mal de le dire, mais au fond, je t’aime bien.
Elle lève une main pour l’inspecter à la lumière du jour.
— Ça alors, toujours pas d’urticaire. Bon. Je sais que tu rends Raph heureux. Par contre, tu devrais vraiment lui dire que tu l’aimes.
— Pardon ?
Les yeux écarquillés sur son canapé violet, Cassie tire sur son sweat-shirt.
— Ouais, soupire Emilie, je sais, venant de moi… mais justement, on est bien placées, toi et moi, pour savoir à quel point ce genre de trucs ne tient qu’à un fil. Et à quel point on regrette de ne pas l’avoir assez dit quand le fil casse.
Cassie inspire longuement. Puis prend les choses en main.
— Tu veux une bière ?
— Quoi ?
— Une bière.
— Il est onze heures du matin.
— Et la sœur de mon mec me donne des conseils amoureux. J’ai besoin de quelque chose de plus fort qu’un thé. Tu veux une bière, oui ou non ?
Emilie hésite, apparemment prise de court, puis hausse les épaules.
— Après tout… pourquoi pas.
Cassie souffle. Les trois mètres jusqu’à la cuisine lui laissent le temps d’encaisser ce qu’elle vient d’entendre et de se préparer à la suite, parce qu’elle sent bien que ce n’est pas fini.
— Merci, lance Emilie en s’emparant de la bouteille. Tu aurais… non laisse tomber, pas besoin de verre. Je m’encanaille. Tu as vraiment une mauvaise influence sur moi.
Cassie éclate de rire, incapable de résister à l’humour De Forest.
— Donc, toussote feu le brushing chromé, actuellement plus proche de la serpillère imbibée. Comme je te l’ai dit, je me sens bien, ici. Vous, cet immeuble, ce quartier… Sarah m’a parlé de l’appartement qui s’est libéré au-dessus du tien. Je l’ai acheté.
Cette fois, Cassie ne rit pas. Elle recrache sa bière sur le tapis. Puis sans aucun scrupule, dénude un coussin de sa housse et s’en sert pour éponger le tapis, le cerveau en rémoulade.
— Tu as… quoi ?
Emilie rougit, toute fanfaronnade évaporée.
— Je me doute que ça te fait drôle, mais… bon, je viens juste de signer le compromis, si ça te pose un problème, je peux toujours… Je ne peux pas m’éloigner complètement de Raph, débite-t-elle à toute allure. Pas encore, pas déjà. Je commence à peine à le retrouver. Et puis ça me rassure de te savoir là, même si parfois c’est compliqué, je sais que tu veilles, et non que ça me plaise mais par la force des choses, tu me connais par cœur… ça craint, pourtant mon filet de sécurité à moi, maintenant, c’est Raph et toi, Julie et Sarah, et même Sylvain avec ses horribles roulées et ses blagues salaces, je m’y suis habituée. Quant aux parents de Sarah, ils sont juste… parfaits, et ça me fait tellement de bien, soupire-t-elle, de voir des parents normaux, alors je… je ne vous gênerai pas, je serai au-dessus, et Raph pourra venir de temps en temps, peut-être…
— Emilie, Emilie, temps mort ! Laisse à mon cerveau le temps de redémarrer.
Et dieu sait qu’il en a besoin. Cassie pose sa bière et reprend son thé, parce que finalement, il est tout de même un peu tôt et le brunch trop récent.
— Je n’ai jamais dit que je ne voulais pas, bougonne-t-elle. Mais je ne m’attendais pas à ça. Je ne savais même pas que l’appartement au-dessus était vide, d’ailleurs.
— Donc tu es d’accord ?
— Depuis quand tu as besoin de mon approbation ?
— Depuis que tu te tapes mon frangin et que tu as fouillé dans ma tête. Tu as du y implanter deux-trois trucs pas nets.
Cassie sourit, plus à l’aise avec l’Emilie caustique qu’avec l’Emilie fébrile.
— Ouais, ricane-t-elle. J’ai fait de toi ma chose, ça explique pourquoi tu persistes à vider le gel douche sans en racheter, j’adore ça. Mais si tu as vraiment besoin de mon approbation, tu l’as. Evidemment.
Recoiffant avec agacement ses mèches humides, Emilie en plaque une en travers de son front. Puis captant le sourire hilare de Cassie, la repousse avec un regard noir.
— Je me demande vraiment pourquoi, siffle-t-elle, mais oui, ça compte. Je te l’ai dit, tu m’as trituré les méninges. Donc au-dessus, tu pourrais me donner un coup de main, avec Sarah… il y a juste à refaire les peintures, aménager et décorer. Je te paierai.
Cassie se penche le temps de reposer son thé puis se cale confortablement au fond des coussins violets, se demandant bien quand la blondasse va se décider à aborder le sujet de son frère.
— Non, grogne-t-elle. Moi aussi ça me fait mal de le dire, mais moi aussi je t’aime bien. Si tu veux tout savoir, on se ressemble trop. Quand je te regarde, je vois tous mes défauts et ça me rend folle.
— Tu confonds. Ce ne sont pas les défauts que tu vois, mais les qualités que tu n’as pas.
Heureusement pour elle, le sourire dément ses propos. Cassie hausse un sourcil et lui renvoie son rictus.
— Bref, poursuit-elle. Pour la maison, c’était différent, tu n’étais que la cliente casse-bonbons. Je ne sais même pas vraiment comment c’est arrivé, mais tu fais dorénavant partie de la tribu, pour le pire et le meilleur. Tu as intérêt à apprécier parce que cette tribu, c’est ma famille, et que je n’avais même pas vraiment conscience de l’avoir avant tout ça. Alors on t’aidera tous, tu ne paieras que les fournitures et les apéros, et si tu cavales en pleine nuit avec tes talons aiguille sur le parquet je glisse des cafards sous ta porte.
Emilie s’esclaffe. Cassie repousse ses boucles derrière son épaule en songeant que sérieusement, si Emilie habite juste au-dessus, ils vont devoir lui dénicher des tapis sacrément épais. Voire de la moquette, en plus des fameux chaussons fourrés.
— Merci, soupire finalement Emilie, abandonnant la bière qu’elle n’a pas touchée. D’avoir dit que je faisais partie de la tribu.
Un silence s’installe. Emilie replace son peignoir haut de gamme, jambes artistiquement croisées. Cassie replace son short violet orné d’un trou à la couture, constatant avec amusement que les mèches blondes commencent à onduler en séchant. Emilie est une fausse lisse.
— Bon, et Raph ? Lance-t-elle soudain à brûle-pourpoint.
— Quoi, Raph ?
Emilie lui décoche un regard gris tout d’abord surpris, puis forcément, carrément railleur. Cassie se mord la langue.
— Tu veux qu’il s’en aille ?
— Je n’ai pas dit ça, marmonne Cassie.
— Alors tu croyais que je voulais le faire vivre avec moi là-haut ?
— Je…
— Tu préfèrerais ?
— Je n’ai pas dit ça non plus.
— Bon sang, mais pourquoi tu ne peux pas le dire franchement ? Et pourquoi tu ne lui dis jamais que tu l’aimes, d’abord ?
Cassie soupire et rejette la tête en arrière. Le regard d’Emilie est acéré, mais plus concerné que moqueur, et dans tout ça, elle n’a toujours pas de réponse directe.
— Il t’en a parlé ? Hésite-t-elle.
— Oui.
Génial. Mais sans doute l’a-t-elle cherché. Elle relève la tête et dévisage Emilie.
— Qu’est-ce-qu’il t’a dit ?
— Que tu as besoin de temps, qu’il le comprend et que ça lui suffit.
— Il ment mal.
— Ouais. Mais il ne mentait jamais, avant toi.
— Forcément, tu le faisais pour deux.
— Cassie, lâche Emilie sans un rire. Sérieusement. Pourquoi tu ne lui dis pas ? Tu l’aimes, ça crève les yeux.
— Je n’arrive pas à franchir le cap, murmure-t-elle à contrecœur. J’ai peur que tout s’arrête.
— Et si tout s’arrête avant que tu l’aies dit ?
La fuite ou l’insulte ? Cassie hésite, le nez dans ses contradictions.
— Ça me dépasse, conclut Emilie. Tu as failli mourir, tu aurais pu perdre Raph sans jamais lui avoir dit ce que tu ressens et ça ne t’a pas fait réfléchir ? Tu es capable de tenir tête à un psychopathe, mais tu as peur de quelques mots ? Ça n’a pas de sens, ma vieille. Tu fuis, c’est lâche et mon frère mérite mieux que ça.
Oh oui, le nez dedans, et c’est nauséabond. Cassie pousse un profond soupir. Elle a beau vouloir changer, avoir changé, les réflexe ont la vie dure et son premier réflexe à elle, c’est la fuite. Chaque jour est une lutte.
— C’est bon, capitule-t-elle, j’entends ce que tu me dis. J’y travaille, ok ?
— Ouais, marmonne Emilie, les yeux plissés. Mais je te jure que si tu fais du mal à mon frangin, je t’arrache les boucles une à une. Bon. Donc tu vas devoir demander à Raph s’il veut emménager officiellement ici.
— Quoi ? Moi ?
— Tu préfères que sa sœur lui demande s’il veut vivre chez sa nana ? Parce que je serais ravie de te faire passer pour une gamine indécise, sache-le. Voilà, moi j’ai tout dit. Maintenant je vais faire mon brushing ou je vais finir par te ressembler.
Cassie ouvre la bouche, puis la referme. La porte de la salle de bains claque bruyamment et elle enfouit son visage dans ses mains, effarée une fois de plus par sa propre couardise.
S’exposer. Pour avoir Raph, là, comme ça, à demeure et pour de bon… Ecartant un doigt, elle jette un coup d’œil à son malheureux salon, offrant à l’œil averti chaussettes sous les fauteuils, mugs sales sur la bibliothèque et même un tube de dentifrice sur le tapis. Le bouquet de fleurs abrite des miettes ou des stylos et sous la table basse, Superman et sa clique ensevelissent peu à peu la jolie collection de bougies parfumées.
Puis de la chambre lui parvient un bruit de choc suivi d’une guirlande de jurons, indiquant que Raph a une fois de plus mal manœuvré sa chaise à roulettes dans l’étroit espace de la chambre, et elle sourit derrière ses doigts.
Raph cligne obstinément des yeux. Il ne cèdera pas. Il ne s’endormira pas, il percera leur ignoble secret, et ce en dépit de l’insupportable somnolence envahissant peu à peu ses membres. On est samedi, il n’est même pas midi, il s’est goinfré de croissants et vient de se faire quasiment violer par une splendide rouquine qui veut bien tout, sauf discuter. Elle l’a épuisé, et elle le sait, suppose-t-il à son petit sourire satisfait.
Il cligne à nouveau. Elle n’est jamais aussi belle qu’après l’amour, avec sa mine de pêche bien mûre, mais cette fois quelque chose flotte derrière ses joues roses. Elle le contemple d’un air préoccupé. Beaucoup trop préoccupé. Qu’est-ce-qu’a bien pu lui dire Emilie, bon dieu ?
Etendue contre son flanc, en appui sur un coude, les boucles emmêlées et malheureusement très bien réveillée, Cassie continue à le fixer. Raph cligne. Péniblement. Il tente d’ouvrir la bouche, mais vraiment, il est épuisé. Il règlera la question juste après un tout petit somme, juré. Et il lui demandera aussi pourquoi elle le contemple avec une telle concentration.
— Cassie ? Raph ? Vous êtes là ?
La voix s’insinue sous la porte avec toute la puissance de Sarah. Cassie, déjà hors du lit, regarde ouvrir les yeux dans un sursaut tout en enfilant un pantalon couleur malabar. Son cœur bat à toute allure. Elle se sent parfaitement ridicule, mais il est trop tard pour faire machine arrière.
— C’est Sarah, lance-t-elle en baissant les yeux.
— J’ai dormi ? Hésite Raph.
— Pas du tout, sourit Cassie devant la marque d’oreiller sur sa joue. Je vais voir ce qu’elle a, prends ton temps.
Raph saute déjà à bas du lit qu’elle se précipite dans le couloir, incapable d’assumer ses actes. Elle se dirige vers le salon d’un pas vif et tente de ne pas y penser.
— Sylvain a conclu !
Cassie se fige à l’entrée de la pièce, hilare. Sarah et Julie sont affalées l’une sur l’autre en travers du canapé, et Sarah claironne depuis le cou de sa compagne, lui postillonnant probablement dans les cheveux.
— Quoi ?
— Sylvain et Mag ! Répète Sarah, se relevant laborieusement. Ça y est ! Il a conclu !
— Ne me dis pas qu’il t’a appelée exprès pour te l’annoncer, ricane Cassie.
Elle traverse le salon pour se laisser tomber sur un pouf à fleurs, en face du canapé sur lequel Sarah hoche fièrement la tête.
— Si. Une vraie midinette, et je peux te dire qu’il est mordu.
— Il ne nous a pas fait une seule blague cochonne, souligne Julie.
— Alors c’est grave, sourit Cassie. J’espère qu’il ne va pas se planter, parce qu’elle l’attend au tournant.
— On verra ça ce soir, ils viennent dîner.
— Non ! Ce soir il y a…
— Relax, la coupe Raph, en les rejoignant. Au contraire, c’est tant mieux.
Oh mon dieu. Il a mis un tee-shirt blanc. Cassie s’empourpre violemment sous le regard de Sarah tandis que Raph prend place à côté d’elle, puis en désespoir de cause, se glisse devant lui et s’adosse à son torse.
— Y a quoi, ce soir ? Demande Julie à point nommé.
— Trois potes qui viennent diner, répond Raph. Deux en couple, donc cinq.
Cassie pique du nez, de plus en plus embarrassée. Elle ne l’a pas vue venir, celle-là. En fait, elle ne s’est pas posé la question. Elle n’a pas prévu que lui aussi, il aurait des amis. Qu’il mettrait tout en suspens pour se concentrer sur elle, et qu’ensuite, elle devrait les rencontrer, les amis, et se rendre malade à l’idée de ne pas être assez… d’être trop… elle effleure son oreille. Elle était peut-être moins heureuse avant Raph, mais elle était moins stressée.
Raph pose le menton sur le crâne de Cassie avec un sourire de mâle épanoui. D’une, il a dû sacrément assurer dans la chambre pour qu’elle vienne spontanément se blottir tout contre lui ; de deux, il sait dans quel état cette soirée la met et s’en trouve bêtement touché. Parce que Cassie Willis, imperturbable devant un parterre de flics perplexes, se ratatine comme un Chamallow dans le feu à l’idée de ne pas plaire à ses amis à lui.
— Arrête de te mettre martel en tête, chuchote-t-il à ses cheveux. Ils vont t’adorer. Et si ce n’est pas le cas, je change d’amis.
— T’inquiète, intervient Sarah, on t’adoptera. Et pas de souci, Mag et Sylvain dîneront chez nous.
Chez nous. Raph, un poil envieux, note que Sarah dit « chez nous » alors que Julie n’y habite même pas complètement. Cassie dit « chez moi ».
— Non, proteste-t-il, au contraire. Tout le monde fera connaissance en même temps. Comme ça si je dois les jeter, vous m’aiderez.
— Cool, conclut Sarah. Cassie, je ferai ta promo toute la soirée, tu verras.
— Non ! S’exclame Cassie, se redressant avec horreur. Non. Surtout, ne fais rien.
— Même pas drôle.
Elle va devoir sortir un deuxième rôti du congélateur. Cassie se lance dans des calculs d’apothicaire, concentrée sur le menu pour ne pas penser au reste, ni aux amis de Raph, ni à ce qu’il cache sous son tee-shirt. Il n’a pas vu. Forcément, sans quoi il ne resterait pas sans rien dire. Si ? Non.
— Si tu n’as rien prévu, je peux te faire une salade de fruits, propose Julie. On est allées au marché.
— Tu as réussi à traîner Sarah au marché un samedi matin ?
— Vingt minutes de négociations et deux tasses de café.
— Et tout ça pour quoi ? Marmonne Sarah. C’est loin, ça sent mauvais et je reçois les mêmes fruits sur le pas de ma porte en commandant par internet. Bref. J’ai eu mon père au téléphone. Ça va ?
Cassie sourit. Elle baisse les yeux, tombant sur les doigts de Raph entrelacés aux siens. Comment finissent-ils toujours emmêlés sans qu’elle s’en rende compte ? Est-ce elle qui le cherche ou lui qui la traque?
— Ça va, assure-t-elle. Promis.
— Sûre ?
— Sûre.
— Bon. Parce que si tu préfères, on peut repousser le chantier d’encore quelques jours, il suffit de…
— Ah non ! On l’a déjà trop repoussé. Un mois de vacances ça suffit, je m’ennuie. On commence lundi et on repousse les avances du vieux crado comme prévu.
— On va bien rigoler, se réjouit Sarah. J’essuie la première salve, ensuite c’est ton tour.
— Comment ça, un gros crado ? Intervient Raph.
— T’occupe, le rassure Sarah. S’il insiste trop, Cassie lui vomira dessus.
— Une fois, peste Cassie. C’est arrivé une fois.
— Ouais, mais c’était très efficace.
— Emilie n’est pas là ? Demande Julie.
Le mystère de l’année. Julie et Emilie s’entendent comme larrons en foire.
— Suis le bruit du sèche-cheveux, rétorque Cassie.
Raph ricane puis gigote maladroitement, tentant de ne pas faire remarquer à Cassie qu’elle lui écrase les roustons avec sa ceinture. Et puisqu’il est diplomate, il recule discrètement, faisant mine de s’étirer.
— Qu’est-ce-que c’est que ça ? S’exclame subitement Sarah.
Il se fige les bras en l’air, indécis. Sarah fixe obstinément son torse. Une fraction de seconde plus tard, Julie écarquille les yeux dans la même direction. Raph commence à flipper.
— Quoi, ça ?
— Et, euh… bredouille Cassie, se collant à nouveau contre lui. Pour ce soir, vous pouvez amener…
— Attends, l’interrompt Sarah. Raph a un truc noir sur le torse.
— Effet de lumière. Donc si vous pouvez…
— Non, je te jure ! Raph, lève-toi !
Cessant de se tâter le torse à la recherche d’un troisième téton nouveau-né, Raph obéit.
— Ce n’est rien ! Lance Cassie. Pas la peine de…
Cette fois, il est carrément intrigué. Parce que Raph est déjà debout, et Cassie écarlate. Or Cassie ne rougit jamais. Il tire sur son tee-shirt, mais constate rapidement que le soi-disant effet de lumière n’en est pas un et ne vient pas du tee-shirt. Il retire donc tout simplement le vêtement.
— La vache! S’écrie Sarah. Qu’est-ce-que c’est que ça ?
— Des lettres ?
Raph dévisage tour à tour Julie, puis Sarah, puis Cassie. Qui plonge la tête dans les coussins avec un gémissement.
— Tu m’as écrit sur la peau ? S’étonne-t-il. Mais pourquoi ? Qu’est-ce-que tu as écrit ?
— C’est quoi, ce délire ? Lance subitement Emilie, jaillissant dans la pièce.
Cassie se contente d’un gémissement, la tête entre les coussins. Raph n’y comprend rien. La blague est moyennement drôle et ressemble assez peu à Cassie. Il se tord le cou pour tenter de déchiffrer les grosses lettres noires.
— C’est à l’envers, bande de nazes, déclare sa sœur avec un sourire. C’était seulement pour lui, mais elle n’a visiblement pas poussé la réflexion très loin. Miss carotte s’est enfin décidée, alors ?
— A l’envers ! S’écrie Sarah, trépignant sur le canapé. Nom de dieu, à l’envers, bien sûr ! Le miroir, Raph. Bon sang ma poule, tu t’es lâchée ! Qu’est-ce-que tu ne ferais pas pour éviter de parler, hein ?
Cassie secoue la tête dans les coussins. Raph se précipite devant le miroir de l’entrée.
« JE T’AIME. VIS AVEC MOI. »
Il va se liquéfier sur le tapis. Là, comme ça, bêtement et devant tout le monde. Non. Il éclate de rire puis repart en courant dans le salon pour extirper sa rouquine des coussins. Ni une ni deux, il la soulève de force et prend la direction de la chambre en ignorant les hurlements de rire derrière lui, la crinière fauve enfouie dans son cou, apparemment pétrifiée de honte alors que lui sent son cœur lutter pour quitter une cage thoracique soudain trop étroite.
— Moi aussi, chuchote-t-il aux boucles, ouvrant la porte d’un coup de pied. Et oui. Mais tu vas devoir l’assumer, ta déclaration, parce que c’était un marqueur indélébile.