Mamzette
  • Home
  • Quezaco?
    • Le coin de l'introvertie
    • La bande-son
  • Read me
    • Flashpics
    • Raconte-moi un dicton
    • Les bonnes manières
    • Dépression mammaire >
      • J-45 . H-5
      • J-45 . H-4
      • J-44 . H-22
      • J-30 . H-6
      • J-2 . H-12
      • J-0 . H-3
      • J-0 . H-0
      • J-0 . H 3
      • J 1 . H 8
      • J 2 . H 10
      • J 9 . H 16
      • J 15 . H 15
      • J 16 . H 1
      • J 35 . H 11
      • J 60 . H 22
      • J 90 . H 8
      • J 120 . H 4
      • J 210 . H 0
    • La boucle
  • Moodboards
    • 2017
    • 2016
    • 2015
    • 2014
    • 2013
  • Fashion
  • Goodies
  • Contact
  • Blog
Photo

9

     Chez Cassie. Raph tourne et retourne les mots dans sa tête, émerveillé. Chez Cassie. Découvrir son intérieur, analyser le contenu de son frigidaire, contempler ses photos, c’était du moins le plan de départ puisque de photos, pas une seule en vue. Pas de portrait de famille, pas de bande de potes, rien. Cassie n’est décidemment pas sentimentale.
     Fraichement approvisionné en bière, il traverse avec un demi-sourire le grand salon bondé, séparé par un comptoir turquoise dorénavant couvert de bouteilles vides d’un coin cuisine fuchsia. Dépasse le canapé de velours violet, le fauteuil-club jaune moutarde et les rideaux à pois verts pour atteindre la terrasse pleine de monde, illuminée de lampions multicolores.
     Que cache-t-elle derrière toutes ces couleurs ? De la poudre aux yeux. Une diversion pour éviter qu’on l’approche de trop près, des stroboscopes au pied de sa tourelle, il a du moins compris ça.
     Chaises disparates et plantes en pot, nappes à rayures et bols mouchetés, musique et grondement de voix mêlés, l’ambiance est à la fête et les chips à l’oignon copinent avec les fraises Tagada, au sens propre comme figuré. Raph enfourne une fraise Tagada, fendant la foule pour quelques instants de calme entre les bambous bordant le balcon.
     Presque minuit. Il a sympathisé à tour de bras, parlé graphisme, hausse des prix, politique, météo ou décoration, échangé ses coordonnées avec un couple charmant vendeur de textiles, et tiré sur le joint que la sœur de Sarah fait circuler sous le nez de sa propre mère.
     Enregistré du coin de l’œil la femme d’âge mûr posant depuis son arrivée un regard furieux sur Sarah, qui si elle n’est pas gay, est extrêmement câline avec son amie.
     Observé avec curiosité le manège de Sylvain, couvant des yeux une créatrice de luminaires et jetant des œillades incendiaires au type qui l’accompagne. Pour finir, à son septième verre, par se lancer dans un flirt effréné avec une jeune femme en tailleur.
     Constaté de visu le comportement protecteur des parents de Sarah à l’égard de Cassie, lorsque le père a écarté d’une calotte un prétendant un peu trop imbibé. Que Raph aurait, sans ça, volontiers emplafonné.
     Et surtout, surtout, il a traqué du regard la robe à fleurs, à la recherche de sa nouvelle obsession. Des orteils vernis à la peau pâle, libérés de leurs bottes cloutées et juchés sur des escarpins rouges ouverts au bout. Un appel à la débauche.
     — Raph ! Ça roule ?
     Raph quitte à regret les arrogants doigts de pieds et se concentre sur Sarah qui le pousse du coude pour s’appuyer à la rambarde, un verre de rouge presque vide à la main.
     — Nickel. Dis-moi, la jolie brunette, c’est ta nana ?
     — Ouais. Pas touche.
     — Je m’y casserais les dents, elle est folle de toi. D’autant que je suis relativement obsédé par une jolie rouquine capable de démonter une prise d’une main et les yeux bandés sans s’électrocuter. Heureusement, ma bibliothèque est bien plus conséquente que la sienne.
     Sarah s’esclaffe, et Raph garde pour lui la dose de virilité bafouée cachée derrière son trait d’humour. Pour avoir observé Cassie en action dans son salon, il sait qu’elle manie la perceuse comme personne, fait de son niveau à bulle une extension d’elle-même, devine quel fil électrique correspond à quoi et quelle cheville utiliser sur quelle surface, soit cent fois plus que lui, qui ne fait pas la différence entre une vis et un écrou. Or si le métrosexuel en lui est d’accord avec ça, l’homme des cavernes s’en offusque bruyamment.
     — Au fait, qui sont tous ces gens ? Ça fait beaucoup d’amis pour une femme qui parle aussi peu d’elle.
     — La plupart sont des relations de travail, sourit Sarah, pianotant sur son verre. C’est le meilleur moyen de contourner les barricades, elle ne les voit pas venir.
     — Sarah, il y a quelque chose que je devrais savoir à propos de Cassie ?
     — Oui, répond-elle après une infime hésitation. Mais ce n’est pas à moi de t’en parler.
     — Merci de ne pas me mentir, soupire-t-il. Pas la peine que je te demande si tu sais ce qui la tracasse, donc ?
     — De quoi tu parles ?
     — Cassie. Elle est nerveuse depuis le début de l’après-midi, et ça a l’air d’empirer.      
     Sarah est bien moins impassible que Cassie. Elle fouille la terrasse du regard, le nez froissé, très visiblement inquiète.
     — Il s’est passé quelque chose, cet après-midi ?
     — Aucune idée, avoue-t-il. Elle m’a fait sortir du salon à peine quelques minutes pour visualiser l’ensemble, comme elle dit, et quand je suis revenu, elle était dans cet état. Pâle, fébrile, gestes brusques et regard fuyant.
     — Et elle t’a dit qu’elle était fatiguée, j’imagine.
     — Bingo. C’est de pire en pire, regarde-la.
     Epaule contre épaule, en parfaite symétrie, ils détaillent tous deux les boucles rousses. Et une fois de plus, parfaitement visible à un œil attentif, Cassie tressaille. Fait volte-face, scrute la foule d’un regard fiévreux, tombe sur eux et leur décoche un sourire crispé.
     — Et c’est comme ça depuis vingt minutes, précise-t-il.
     — Merci, Raph. A plus tard.
     Sourcils pincés sous sa frange, Sarah quitte brusquement le balcon pour marcher droit sur Cassie, qu’elle traine sans ménagements dans un coin de terrasse. Trop éloigné, malheureusement, pour que planqué entre deux pots de bambous, Raph puisse saisir la teneur du dialogue. Mais des froncements menaçants au visage fermé, pas besoin de sous-titres pour comprendre que Cassie nie obstinément.


     — Cassie ? Tout va bien ?
     — Super. Et toi ? Tu t’amuses ?
     — Oui. Cassie, qu’est-ce-qui ne va pas ?
     Cassie fronce les sourcils. Après Sarah, Raph. Au temps pour la discrétion. Le comble, pour une femme qu’on accuse d’enterrer ses émotions sous des kilomètres d’armure.   
     — Rien. Un peu fatiguée, peut-être.
     — Tu n’es pas fatiguée, tu es nerveuse, insiste-t-il.
     — J’ai horreur de fêter mon anniversaire.
     — Pourquoi ?
     — Tous les ans, Sarah me tanne jusqu’à ce que je cède.
     Il soupire longuement, sans doute conscient qu’elle n’a pas répondu à sa question. Son attente est aussi visible que la tache de tomate sur sa chemise bleue. C’est pour son bien, Cassie. Il est temps qu’il comprenne, tu n’as rien à offrir.
     Nom de dieu, mais où est-il ? Elle se crispe instinctivement, balayant la terrasse du regard. Cette sensation… elle hait cette sensation.
     — Cassie, bon sang ! Parle-moi ! Qu’est-ce-qui t’arrive ?
     — Rien.
     Il ne la croit pas. Ce qu’elle peut difficilement lui reprocher, mais mentir, mourir de peur, brûler de rage, surveiller les alentours et, en plus, trouver un prétexte valable, c’est trop pour elle.
     — Il y a autre chose, s’entête-t-il.
     Incapable de soutenir son regard, Cassie repousse ses cheveux d’un geste nerveux. Pitié, Raph, fous-moi la paix.
     Aide-moi plutôt à croire que je me trompe, qu’il n’est pas là, qu’il ne s’est pas introduit chez moi le soir de mon anniversaire, après tout ce temps. Que cette marée noire infiltrant mes verrous n’est qu’une invention de mon cerveau fatigué, que je ne suis ni épiée, ni menacée, que je ne replonge pas dans un cauchemar vieux de huit ans. Pitié, Raph. Dis à mon corps que ça va aller, jure à mon esprit qu’il pourra survivre à ça.
     — Tout va bien, soutient-elle sans conviction. Il commence simplement à se faire tard.
     La moue est amère. Il ne la croit pas.
     — Tu veux que je te débarrasse de ce jeune homme ?
     Soulagée, elle pivote vers le géant dégarni posant un regard peu amène sur la main de Raph à sa taille.
     — Ça ira, sourit-elle. Raph, je te présente Philippe, le père de Sarah.
     Tandis que les deux hommes se jaugent d’une poignée de main, elle se croit un instant en sécurité, encadrée par leurs hautes silhouettes. Puis sa vision s’obscurcit. Un frisson glacé la parcourt des pieds à la tête en un assaut plus violent que les autres, et elle se dit vaguement que s’il est vraiment là, il n’apprécie pas ce qu’il voit.
     Serre les dents, Cassie ! Discrètement, elle inspecte à nouveau la foule. Elle les connait tous, c’est impossible et elle n’a pourtant que peu d’espoir. Pour le percevoir même verrouillée, il doit être proche. Trop proche.
     — Cassie ?
     Machinalement, elle remonte le coin de ses lèvres en un rictus approximatif et pivote vers Sylvain, se demandant au passage pourquoi la main de son ouvrier traîne sur les fesses de sa comptable.
     — Mauvaise nouvelle, annonce-t-il. On y est.
     — Où ça ? Interroge Raph.
     — Le gâteau, explique Philippe d’un air ravi. Elle a horreur de ça.
     Elle a seulement le temps d’ouvrir la bouche avant que la chorale ne se mette en branle, approchant inexorablement avec un énorme gâteau rouge et chantant à tue-tête le traditionnel refrain.
     Elle va la faire payer. La saleté, elle paiera pour ça, se jure-t-elle, découvrant son visage placardé sur un rectangle crémeux, le crâne piqué de trente-deux bougies rouges. Elle est là, et elle est très contente d’elle, Sarah. Quant à Raph, il pleure de rire. Cassie rassemble toutes ses forces pour se concentrer sur le présent.


     — Rentrez bien, et faites attention ! Marie, ne laisse pas Sylvain conduire, quoiqu’il en dise.
     Raph se laisse tomber sur un fauteuil tressé avec un soupir de soulagement, tandis que Cassie referme la porte. Il est vanné, il a mal aux pieds et il se sent vieux. Parce que même sous la torture, il serait incapable de se lancer dans un rock endiablé comme celui qu’exécutent magistralement les parents de Sarah au milieu de la terrasse, pommettes roses et regard brillant. Lui, il ne rêve que de se coucher, et même pas pour assaillir Cassie. C’est dire.
     — Au lit ! Hurle Sarah, coupant brusquement la musique.
     Le couple s’immobilise et s’approche d’eux, très visiblement à contrecœur. Raph consulte sa montre d’un œil perplexe. Quatre heures du matin, et ils ont l’air en pleine forme.
     — Bon, bon, on vous laisse, capitule la femme qu’on lui a présentée comme Muriel. Les jeunes de nos jours, ça ne tient plus la route.
     — Nous, à votre âge…, renchérit son mari.
     — Papa !
     — Vous dormez chez Sarah ? Intervient Cassie, se laissant passivement étreindre.
     — Oui. Dors bien, ma chérie. Et n’oublie pas, dimanche prochain, tu déjeunes à la maison. C’est Pâques.
     — Amène donc ce jeune homme avec toi, renchérit Philippe. Raph ? Ça vous tente ? Julie sera là aussi, vous ne serez pas le seul nouveau.
     Le jeune homme en question, qu’on n’avait pas appelé jeune homme depuis un sacré bout de temps, croise le regard paniqué de Cassie.
     — Avec plaisir, acquiesce-t-il tranquillement. Qu’est-ce-que j’amène ?
     — Les filles, réplique Muriel. Livrées à elles-mêmes, elles sont toujours en retard. A dimanche, alors ! Bon anniversaire, Cassie. Ne travaille pas trop.
     — Bonne nuit les enfants, conclut Philippe en sortant. Nous, on va en boîte.
     — Ils blaguent, là, hein ? Interroge Raph sitôt la porte refermée.
     — Ouais, confirme Sarah. Dans cinq minutes, ils ronflent.
     — On rangera demain, lance Cassie par-dessus son épaule, s’éloignant dans le couloir sans un regard en arrière. Je suis vannée. Deuxième porte à droite pour la chambre d’amis, Raph. Tu trouveras des serviettes dans la salle de bains. Bonne nuit tout le monde.
     Raph la suit des yeux, sidéré. Une blague, forcément. De mauvais goût, mais une blague, hein ?
     — Elle plaisante ?
     — Je ne crois pas, ricane Sarah.
     — C’est parce que j’ai accepté l’invitation de tes parents ?
     — Ça n’a pas dû aider. Mais je ne crois pas que ce soit ça.
     — Alors quoi ?
     — Ecoute, tu devrais en parler avec elle, je…
     — Sarah, il faut que tu m’aides, là. Tu sais qu’elle ne me dira rien avant plusieurs heures de négociation, et encore. Je suis trop naze et pas assez sobre pour négocier.
     Sarah jette un coup d’œil à Julie, qui hausse les épaules sans cesser de rassembler les verres vides.
     — Simple réflexe, confie-t-elle finalement. Cassie n’a pas l’habitude de dormir avec un homme, et je lui ai un peu forcé la main pour que tu viennes.
     — De… pardon ? Comment ça ?
     — Coucher oui, dormir non.
     — Tu es sérieuse ?
     Sarah fronce le nez, se laissant tomber sur une chaise.
     — Ouais. Depuis que je la connais, elle n’a jamais laissé un homme se réveiller près d’elle. Elle évite même en général de les ramener ici, tu as eu du bol.
     — Elle… tu la connais depuis combien de temps ?
     — Presque huit ans.
     — Nom de dieu, souffle-t-il en s’affalant un peu plus. Mais pourquoi…
     — Là, tu vois avec elle.
     — D’accord, mais elle pense vraiment que je vais me contenter de la chambre d’amis ?
     — J’en ai peur.
     — Je rêve, marmonne-t-il en se redressant. Je rêve !
     A jeun ou pas, il va bien lui falloir négocier. Attaquant le couloir d’un pas vengeur, il dépasse la salle de bains dont la porte est entrebâillée, ouvre ce qui s’avère être un placard, évite la fameuse chambre d’amis et déboule très énervé dans ce qui doit, par déduction, être la chambre de Cassie.
     Sa colère retombe comme un soufflé sitôt le seuil franchi. Collée au mur face au lit, les yeux fermés et le teint livide, Cassie tremble de tous ses membres. Il jure en silence et se précipite vers elle.
     — Cassie ? Qu’est-ce-qui se passe ? Cassie ?
     Il frictionne ses bras gelés, caresse son visage, la secoue doucement.
     — Cassie, réponds-moi ! Cassie ?
     Elle finit par ouvrir les yeux, et ce qu’il y voit lui retourne l’estomac. Les mâchoires crispées à en saillir, son regard terrifié le traverse comme s’il n’était pas là. Puis se révulse.
     — Cassie, regarde-moi, bon sang !
     Trop tard. Il la rattrape au moment où elle s’écroule.

     Mais qu’est-ce-que c’est que ce délire ? Passant un bras sous ses genoux, l’autre sous ses épaules, il la soulève sans trop de mal. L’allonger. Le lit. En deux pas, il la dépose doucement sur les draps fleuris, écartant du revers de la main la cordelette encombrant l’oreiller.
     — Cassie ?
     Il lui tapote les joues, paniqué. Puis avisant la bouteille d’eau sur la table de chevet, en dévisse le bouchon et inonde son visage blême.
     — Cassie, tu m’entends ? Cassie, ouvre les yeux, s’il te plait, tu es en train diminuer drastiquement mon espérance de vie, s’il te plait, ouvre les yeux.
     Une ombre de sourire fend les lèvres pâles sous le reste de rouge à lèvres. Ses cils papillonnent. Enfin, ses paupières se soulèvent, elle lève une main tremblante et la passe sur ses yeux avant de se redresser sur un coude, repoussant ses cheveux trempés. Raph lâche une nouvelle bordée de jurons et se rejette en arrière. Il perçoit le moment exact où elle replace les pièces du puzzle. Tout comme celui où elle décide de lui mentir.
     — Désolée, murmure-elle. Je… j’ai dû boire un peu trop.
     — Conneries, crache-t-il.
     Elle lui adresse un coup d’œil surpris. Oui, ma jolie. Moi aussi, je peux m’énerver.
     — Cassie, bordel de… de… tu viens de me flanquer la trouille de ma vie ! Assez de mensonges ! Tu avais peur ! De quoi ? Qu’est-ce-qui s’est passé ?
     Il détecte l’ombre de sa fuite avant même qu’elle ne détourne le regard.
     — Tu te montes la tête. J’ai eu un petit malaise, je suis fatiguée. Une bonne nuit de sommeil et tout ira mieux.
     — Cassie, siffle-t-il, plongeant les yeux dans les siens. Si tu crois que ton regard impassible te sauve de tout, tu te trompes lourdement. Là, maintenant, j’y lis tout sauf le pourquoi. Tu me mens, et mal. Tu as eu peur, tu as vu ou entendu ou rêvé quelque chose qui t’a causé un sacré choc, tu t’es évanouie dans mes bras et tu continues à me prendre pour un idiot. Ça me vexe et ça me blesse. Si tu te décides à me faire confiance, je serai à côté.
     Elle se détourne. Prends ça dans les dents, Raph. Résigné, il se lève et franchit la porte pour ouvrir celle d’en face. Si on lui avait dit, à peine cinq minutes plus tôt, qu’il passerait la nuit dans la chambre d’amis de Cassie, il aurait ri. Très fort. Maintenant, il se dit qu’il aurait dû boire beaucoup plus.


     Cassie inspire lentement, patientant jusqu’à ce que la nausée reflue. Puis encore un peu. Elle va s’habituer, elle le sait, son corps et son esprit assimileront peu à peu le choc, s’adapteront aux nouvelles données. Ils survivront, comme toujours. Mais ce vide… elle l’avait presque oublié.
     Vrillant nerveusement l’anneau autour de son doigt, elle se recroqueville et s’enfouit sous la couette. Mais bon sang, comment l’a-t-il retrouvée ? Et pourquoi ?
     Toujours les mêmes questions sans réponse. Elle ferme les yeux, luttant contre un haut-le-cœur. Quoiqu’il arrive, elle n’abandonnera pas sans combattre. Elle est tombée dans les pommes, nom de nom ! Devant Raph ! A cause de ce moins que rien, de cette raclure ayant pénétré son univers, souillé son havre de paix. 
     Repoussant subitement la couette, elle se lève et s’empare de la cordelette en forme de nœud coulant. Ce truc ne restera pas chez elle une minute de plus. Elle pointe prudemment le nez dans le couloir. Raph est dans la salle de bains, et c’est mieux comme ça. Qu’il ne croie pas… bref. Peu importe ce qu’il peut croire.
     Elle a enfreint ses règles en accueillant Raph chez elle. Elle le paye. Leur aventure est terminée, il n’aurait jamais dû assister à cette scène, encore moins s’offusquer de son silence, et certainement pas la blesser à ce point par de simples mots. Le rappel à l’ordre est violent, mais nécessaire.
     Elle traverse le salon, déverrouille la porte fenêtre en silence, débouche sur la terrasse et s’approche de la rambarde pour écarter le rideau de bambous. Puis sans une hésitation, catapulte rageusement la cordelette par-dessus le balcon, la suivant des yeux jusqu’à ce qu’elle se noie dans l’obscurité. Et même encore un peu, pour être sûre.
     Il pourrait être juste là, les yeux levés vers elle, dissimulé à l’angle de la rue. Cassie scrute les formes fantomatiques de la pénombre. Ou derrière une voiture, mon dieu, peut-être même la sienne, ou accroupi derrière la borne électrique, ou tapi dans l’entrée sombre de l’immeuble d’en face. Stop, Cassie ! Tu sais ce qui arrive quand tu laisses la peur te dominer. Résiste.
     Elle résiste. Et par défi, adresse un doigt d’honneur à l’intégralité de la rue avant de réarranger les bambous. Quand bien même il serait là, juste en bas, il n’apercevrait rien d’autre qu’une forêt de bambous dessinant les contours de la terrasse, alors on serre les dents. Et on réagit.
     Reculant d’un pas, elle écarte les bras et fait sauter ses verrous. La fraîcheur de la nuit disparait peu à peu, ses pores frémissent, l’obscurité se teinte sous ses paupières closes, palpitante de la force de sa colère.
     Tu as fait passer ton message, grince-t-elle intérieurement. Tant mieux pour toi, maintenant, c’est mon tour. Tu n’es qu’un taré doublé d’un lâche. Tu ne me fais plus peur. Sans effet de surprise, tu ne vaux pas un clou. Tu sais où je suis, alors viens, finissons-en ! Face à face, sans te cacher derrière un rideau d’ombre ou des tours minables. En attendant, tu t’amuseras tout seul. Pauvre con.
     Mince alors, elle tremble. Pourtant, elle se sent mieux, allégée d’une partie de haine et de peur –puisque bien sûr, elle a menti. Il lui fait peur. Mais moins qu’elle ne le hait, finalement, et c’est toujours ça de pris.
     Elle laisse retomber ses bras, vérifiant l’étanchéité de ses verrous. L’a-t-il entendue ? Elle s’en fout, en fin de compte. Il est temps de laisser couler pour mieux respirer, demain est un autre jour. Déliant ses épaules, elle fait volte-face et se retrouve nez à nez avec Raph, adossé à l’encadrement de la fenêtre, les mains au fond des poches.
     Ne cède pas, Cassie. Ne l’entraîne pas dans cette histoire sordide. Ignorant ses attentes et ses sourcils levés, ses ardoises ombrageuses et sa fierté blessée, elle passe à côté de lui, tête haute, pour retourner s’enfermer dans sa chambre.

     Tout en bas, un sourire sur ses lèvres minces, un homme émerge de l’entrée sombre de l’immeuble d’en face. Il ramasse la cordelette sur le pavé après un dernier coup d’œil aux bambous. Pas la peine de gâcher.


chapitre suivant
chapitre precedent
Photo
  • Home
  • Quezaco?
    • Le coin de l'introvertie
    • La bande-son
  • Read me
    • Flashpics
    • Raconte-moi un dicton
    • Les bonnes manières
    • Dépression mammaire >
      • J-45 . H-5
      • J-45 . H-4
      • J-44 . H-22
      • J-30 . H-6
      • J-2 . H-12
      • J-0 . H-3
      • J-0 . H-0
      • J-0 . H 3
      • J 1 . H 8
      • J 2 . H 10
      • J 9 . H 16
      • J 15 . H 15
      • J 16 . H 1
      • J 35 . H 11
      • J 60 . H 22
      • J 90 . H 8
      • J 120 . H 4
      • J 210 . H 0
    • La boucle
  • Moodboards
    • 2017
    • 2016
    • 2015
    • 2014
    • 2013
  • Fashion
  • Goodies
  • Contact
  • Blog