31
Raph s’étire paresseusement, ouvre un œil et sourit en découvrant sa chambre. Jusqu’à être percuté par un bruit de choc puis un juron furieux grimpant de l’étage inférieur. Son sourire s’efface. Il repousse sa couette.
— Emilie ? Crie-t-il depuis le couloir. Tout va bien ?
— J’y vais, répond-elle.
Raph se frotte les yeux. Elle y va. Elle va où ?
— Tu vas où ?
Elle surgit sur le palier du dessous, tirant une valise à roulettes derrière elle, impeccable dans son tailleur gris, ses sempiternels talons aiguilles tapotant le parquet avec impatience. Il a beau n’être qu’un homme féru de courbes de pieds sensuelles, il déteste les talons de sa sœur. Beaucoup trop agressifs.
— Raph, trois jours, congrès, salle de bain, plomberie. Ça te rappelle quelque chose ?
Zut.
— J’avais oublié. Tu reviens mercredi, c’est ça ?
— Jeudi. On se retrouve à la maison jeudi soir. Et je compte sur toi pour surveiller la…
Raph se raidit, Emilie fait de même.
— Le bon déroulement des travaux, souffle-t-elle dans un effort visible.
Sans un mot, il la rejoint pour descendre sa valise au rez-de-chaussée. Ils se sont toujours bien entendus, tous les deux. Même en désaccord sur l’attitude à opposer à leurs parents, ils pouvaient tout oublier le temps d’une soirée vidéo débordante de fou-rires et de remarques caustiques. Maintenant... rien. Le néant. Le vide, la fuite, l’absence.
Il a attendu longtemps, la veille, le film prêt à démarrer et une quiche dans le four, avant de monter la chercher dans sa chambre. Elle était fatiguée. Il a dîné seul. Il immobilise la valise dans le hall et pivote vers sa sœur.
—Emilie… parle-moi. Ça va ?
Il effleure doucement sa joue abîmée, dorénavant plus jaune que bleue. Puis aussi agacé que malheureux, tire maladroitement sur les verres teintés dissimulant ses yeux.
—S’il te plait, parle-moi, murmure-t-il.
Les yeux gris vacillent, scintillent puis s’éteignent comme un néon en fin de vie. Elle redresse ses lunettes.
— Tout va bien, Raph, affirme-elle en s’écartant. Tu t’inquiètes pour rien. On se voit dans trois jours.
Elle n’a pas de comptes à lui rendre, il l’a lui-même souligné en sens inverse. Mais elle ne se contente plus de se taire, elle fuit, ment, dissimule. Evidemment, qu’il est inquiet. Il se glisse dans ses baskets pour porter la valise jusqu’à sa voiture, puis endure le claquement de portière et le vrombissement du moteur sans bouger, seul au milieu des gravillons en T-shirt et caleçon, jusqu’à ce qu’un courant d’air frais ne s’y infiltre très cavalièrement.
Même pas une bise, rien, constate-t-il amèrement en remontant fissa dans la chaleur de sa chambre. Il commence à en avoir ras les bonbons, des humeurs de ces dames. Patient avec sa sœur, patient avec Cassie, qu’il essaye la gentillesse ou la méthode frontale, c’est crise d’hystérie chez l’une et sourire poli chez l’autre. Et lui ? Qui pense à lui, dans tout ça ?
Il flanque un coup de pied dans son lit, expédie T-shirt et caleçon en boule dans un coin puis se dirige d’un pas rageur vers la douche. Il sait, pourtant, qu’il avance en terrain miné. Elles sont blessées. Elles ont besoin de temps. Mais deux femmes qui se refusent simultanément, ça fait beaucoup à encaisser pour un seul homme. Tournant les robinets, il laisse volontairement l’eau froide le percuter en pleine visage. Comment s’est-il retrouvé enchaîné à deux femmes perturbées, froides et fermées, d’abord ? Il aurait de quoi faire dix ans de thérapie avec une question pareille. Deux hypothèses : complexe œdipien ou vengeance céleste.
Il soupire, réduisant le débit de l’eau d’une main. Il ne demande pas la lune. Il a cru, pourtant, la veille, avec Cassie, avoir obtenu… bref. Il attendait quelque chose. Tout sauf cet au-revoir policé, encore moins ce silence radio après lui avoir exposé ses tripes. Il a quitté une Cassie sage et raisonnable, sans un mot affectueux, pour rejoindre une sœur mutique qui s’est isolée dans sa chambre avant même le dîner. A vingt-et-une heures, il était dans son lit avec des rapports d’enquête, seul. Alors oui, décide-t-il en se rinçant, il a le droit d’être de mauvaise humeur, et même un peu blasé. D’autres auraient fait leur valise depuis belle lurette.
Il émerge de la cabine, pestant contre son étroitesse et se rappelant du même coup qu’il dort chez Cassie les trois prochains soirs, puis attrape une serviette. Il n’a même pas l’intention d’annuler. Carpette, va. Déodorant, boxer propre, jean et T-shirt, un peu de parfum et une pointe de cire coiffante. Il revient dans sa chambre pour y chercher son portable. Autrement dit, soulever sa couette et vérifier sa table de chevet avant de composer son numéro depuis la ligne fixe.
Lorsqu’il met enfin la main sur le portable en question, trônant sur le bureau au fond de l’atelier, il tergiverse un instant. Crise de nerfs ? Explosion de joie ? Folie destructrice ? Choix cornélien. Il jette un nouveau coup d’œil au texto de Cassie, un autre à la minuscule poupée rousse pendue à une cordelette sur son panneau de liège.
— Allez, dis-moi à quoi tu penses.
Cassie fait la grimace à Sylvain et ment effrontément. Non, elle ne se triture pas les méninges pour justifier l’absence de réponse de Raph. Elle s’est exposée, bon sang, il pourrait apprécier l’intention. Heureusement, ça ne la touche pas. Même pas un peu. Rien du tout.
— Au plombier, affirme-t-elle en déverrouillant la voiture.
— Ouais, et moi je suis blonde à forte poitrine, s’esclaffe Sylvain. Tu penses… merde ! Qu’est-ce-que c’est que ça ?
Cassie ne répond pas. Elle détaille avec une moue qu’elle espère blasée le mot « bitch » gravé sur la portière passager.
On se calme, Raph. Bousiller ton atelier tout neuf, Cassie ne te le pardonnerait jamais. Déjà, la tâche de café, elle a du mal à digérer, alors du calme. Ce truc n’a pour but que de te déstabiliser, c’est du vent. Ouais. Du vent, peut-être, mais un vent nauséabond.
Il inspire profondément, reculant d’un pas. Cette fois, il en est certain, ce truc n’était pas là quand il s’est couché. Un inconnu est entré chez lui en pleine nuit, se jouant du système de sécurité censément inviolable alors qu’Emilie dormait à l’étage du dessous, nom de nom ! Il serre les poings et souffle lentement, s’exhortant au calme. Emilie va bien. L’auteur du message a une dent contre toi, Raph, toi seulement.
Ses nerfs reprennent peu à peu leur place et il souffle une nouvelle fois, se rapprochant du panneau de liège. La poupée est visiblement faite main, simple corps de tissu blanc ficelé et rembourré, une tête ronde, une touffe de brins de laine orange à la place des cheveux. Grossier. Sans la bouche écarlate ouverte sur un cri silencieux ou les yeux funestement représentés par des croix, l’objet serait risible.
Une cordelette est enroulée autour du cou en plusieurs tours si serrés qu’elle semble avoir été nouée avec une rage ou une excitation déchaînée, un rembourrage exagère des seins bizarrement obscènes sur une poupée si naïve, des tétons et une toison pubienne dessinés au feutre ornent le tissu blanc. Non, vraiment. Raph n’a pas envie de rire.
Il ne connait pas grand-chose aux empreintes digitales, mais ça vaut la peine de la confier à Philippe. Il décroche la figurine à l’aide d’un sac plastique, la détaillant sous toutes ses coutures grossières, cherchant une quelconque inscription, un élément spécifique pouvant lui donner une direction. Avant de se rendre à l’évidence : il n’est pas flic.
Cassie. Est-ce-qu’il aura une bonne nouvelle à lui annoncer, un de ces jours ? Entre la poupée et sa collaboration avec Philippe, il risque fort de dormir dans la chambre d’amis. Encore que… abandonnant sans plus de considérations le macabre objet sur la table, il se répand dans son fauteuil de bureau et ramasse son portable, lisant et relisant les quelques mots.
« Tu me manques ». En toutes lettres. S’il n’avait pas oublié son téléphone dans l’atelier, il aurait reçu son texto hier soir et certainement beaucoup mieux dormi. Il affiche donc un sourire de midinette en rut, coulant un regard dédaigneux à la poupée dans son sac plastique. Même pas mal, enfoiré. Je lui ai manqué. Pas toi.
Cassie pousse la porte d’entrée, foudroyant Sylvain du regard.
— Encore une réflexion, prévient-elle, une seule, et je te jure que j’appelle Mag pour lui en raconter des vertes et des pas mûres. Sept ans qu’on bosse ensemble, mon vieux. Je pourrai tuer dans l’œuf ta moindre chance de l’emballer.
— Ce serait vraiment mesquin, marmonne Sylvain.
— Ouais. Alors fais un nœud et oublie-moi.
Certes, Sylvain a scotché un carton sur sa portière pour dissimuler l’infamie. Mais quarante-cinq minutes de vannes sur son texto sans réponse ne poussent pas à l’indulgence. Elle claque bruyamment la porte, déclenchant une cavalcade chaotique au deuxième étage. Cassie lève le nez, perplexe. Un juron, quand il dérape sur la bâche. Puis reprise de la galopade, atterrissage et décollage. Les pieds dans le vide, Cassie tente de se ressaisir.
— Je viens seulement de voir ton message, murmure Raph contre sa tempe. J’avais oublié mon portable à côté.
Cette fois, elle se contente de sourire. Il vient d’avoir son message. D’ailleurs à en juger par la détermination avec laquelle il semble vouloir la concasser contre ses côtes, il l’a apprécié. Pourquoi, dans tous les scénarios échafaudés depuis la veille, n’a-t-elle pas envisagé le plus simple ? Parce que tu as l’esprit tordu, ma vieille. Complètement cabossé.
Son téléphone se met à sonner au fond de sa poche et elle pouffe dans son cou. Elle pouffe, maintenant. Ridicule.
— Raph, articule-t-elle, la gorge contre sa clavicule. Il faut que je réponde. Ça doit être le plombier.
— Je le déteste déjà, marmonne-t-il en la reposant au sol. Au fait, où est Sarah ?
— A l’appart’. Elle a eu plusieurs rendez-vous avec Cyril pour préparer le terrain, et on a deux autres chantiers en préparation, elle bosse sur les premières propositions. Allo ? Bonjour Cyril. Oui, je vous ouvre.
Elle raccroche, actionnant l’ouverture du portail à la commande située près de la porte.
— Tu as pris ce que tu voulais dans ta salle de bains ?
Zut, trop brusque. Elle inspire, se concentre sur la porte d’entrée et trépigne de l’orteil.
— Je suis contente de… je veux dire… bien dormi ?
Bon dieu ! Une équipe de cinq hommes débarque déjà de la camionnette, et elle n’a aucune envie de s’étendre en public. Elle pivote pour noter qu’en plus de se ridiculiser devant Raph, qui a du moins une chance de trouver tout ça charmant, elle bredouille devant un Sylvain franchement hilare, tranquillement accoudé à la rampe de l’escalier.
— Tu veux qu’on reparle de Mag ? Menace-t-elle.
— Ça va, je m’arrache, sourit-il en s’éloignant. Mais je te l’avais dit ou pas, que tu te faisais des films ?
La porte d’entrée laisse filtrer les voix des nouveaux arrivants. Cassie jette un coup d’œil paniqué à Raph, cherchant comment, dans une relation standard, on prie gentiment l’autre de dégager fissa.
— Je te laisse travailler, la devance-t-il sans perdre son sourire. Viens me voir quand tu auras une minute, d’accord ?
Il l’embrasse rapidement, puis décolle aussi vite qu’il est arrivé. Salle de bains, Cassie, salle de bains ! Pense plomberie, s’ordonne-t-elle, ouvrant la porte sur un sourire très peu professionnel.
Il a presque fini. Raph a bouclé en quatre heures le travail de la journée, se libérant l’après-midi, et il en est très fier. Il n’aura qu’à penser à l’envoyer le soir même. C’est qu’il faut justifier ses tarifs, tout de même.
Cassie n’est pas venue le voir, débordée, probablement. Sauf qu’elle est bien capable de lui reprocher le temps d’attente une fois présentée la poupée. Il sauvegarde son travail, prépare les mails à expédier en fin de journée et ferme ses fichiers, puis tout occupé qu’il est, tressaille aux légers coups contre la cloison de sa chambre.
La chambre ? Il consulte sa montre, bien que renseigné par les grondements de son estomac, puis se lève pour faire coulisser la cloison. Elle a vraiment des yeux incroyables, songe-t-il, nez à nez avec une Cassie entièrement nue. Et ces fesses… il tâte les coupables avec un soupir, d’ores et déjà hors d’état de réfléchir.
D’ailleurs, même s’il l’avait été, en état, il n’aurait pas eu le temps de placer un mot. Une demi-heure plus tard, haletant, étendu sur le lit sans savoir comment il y est arrivé, il tente toujours de reconstituer l’enchaînement des évènements. Elle lui a sauté dessus, conclut-il, vrillant distraitement une boucle rousse autour de son doigt.
Cassie ne sait pas faire l’amour. Une déesse du sexe, oui, et loin de lui l’idée de s’en plaindre ! Mais pour un peu qu’il mêle la tendresse à l’affaire, elle est perdue. Pas contrainte, pas agacée, même pas vraiment gênée. Simplement surprise, à tel point que Raph se demande quel genre de rapports elle pouvait bien avoir avec son mari.
— Cassie ?
— Mmm ?
Non, il ne posera pas la question. Il n’est pas fou.
— Tu m’as manqué aussi.
— Mmm.
— Il t’a fallu plus ou moins d’une heure pour le taper, ton texto ?
Elle ne répond pas, mais sourit contre l’oreiller. Raph a sa réponse. Elle s’est fait violence, pour lui, la vie est belle même avec ce qu’il doit dire. Reste à voir dans cinq minutes. Il s’écarte doucement pour s’assoir.
— Cassie, j’ai quelque chose à te dire. Deux, en fait. Je commence par la bonne ou la mauvaise nouvelle ?
— La mauvaise, exige-t-elle, se redressant lentement.
— J’ai reçu un nouveau… message. En quelque sorte.
Pas la peine de faire traîner, le sourcil acajou s’impatiente déjà. Il se propulse hors du lit et y revient muni du sac plastique.
Cassie frémit. Ce truc est hideux, si ridicule qu’elle ne parvient pas à s’y identifier. Tout comme l’inscription sur sa voiture, la poupée évoque une frénésie d’adolescent en rut qui bien que franchement menaçante, l’est moins que la froideur distante à laquelle elle était habituée.
— Il n’était pas aussi… sexuel, à l’époque, murmure-t-elle en détaillant la figurine. Il parlait du plaisir physique qu’il prenait, mais là… c’est différent. Le meurtre n’est plus son seul but, il y a ajouté le viol.
— Là, lance Raph avec circonspection, je ne te suis plus. Tu n’as l’air ni inquiète, ni effrayée, ni même en colère.
Elle hésite, levant les yeux vers lui sans pouvoir retenir un sourire. Assis nu sur le lit, son front plissé pour seul vêtement, Raph la recouvre presque de son ombre.
— Ne me ménage pas, exige-t-il. Tu ne voudrais pas que je le fasse pour toi.
— Je ne vais pas dire que ce truc ne me touche pas, loin de là, grimace-t-elle avec un geste en direction du sac plastique. Mais c’est moi qu’il vise. S’il veut te punir, c’est en me tuant, moi, et je préfère moi que toi.
— Cassie…
— Tu m’as demandé la vérité.
Vrai. Il déteste sa résignation, mais elle a passé des mois à côtoyer la mort, à l’attendre, à l’envisager. Peut-il décemment lui reprocher de s’y être accoutumée ?
— Tu n’as pas peur de mourir, soupire-t-il.
— C’est facile à dire tant qu’on n’est pas au pied du mur, sourit-elle. Mais pas vraiment. Je n’en ai pas envie non plus, c’est juste que… si ça doit arriver, ça arrivera. Je préfèrerais éviter le viol, mais la pendaison me semble moins terrible qu’une éviscération ou un truc du genre.
Raph déglutit avec peine, mâchoires crispées. Dieu sait qu’il apprécie le quinzième degré mais là, même pour lui, c’est trop.
— Je ne veux pas mourir, reprend-t-elle, glissant sa main sur la sienne. Mais vivre avec cette idée est le seul moyen que j’ai trouvé pour ne pas devenir folle. Si ça peut t’aider, dis-toi que comme ça, je reste sur mes gardes.
Non, ça ne l’aide pas. Ce qui l’aide, c’est cette menotte pâle sur la sienne, l’air de rien, dont la propriétaire ne semble absolument pas consciente.
— Ça ne me plait pas, avoue-t-il, mais je ferai semblant.
— Bon. Jette-moi cette horreur, maintenant.
Raph ne répond pas, suivant des yeux Cassie qui s’extirpe du lit en deux bonds pour enfiler une adorable culotte à pois jaunes. Il ne va pas jeter cette horreur, mais la confier à Philippe, ce qui l’amène au sujet suivant. Pourquoi diable a-t-il parlé de bonne nouvelle ?
— Et la bonne nouvelle ? Interroge-t-elle justement.
— D’accord, mais promets-moi d’abord de m’écouter jusqu’au bout.
Cassie lui fait face, les yeux plissés. Elle achève d’enfiler sa tunique, ferme son pantalon pervenche et plante les poings sur ses hanches. Mal emmanché, mon vieux Raph.
— Je ne promets rien. Accouche.
— Je voulais t’en parler hier soir, débute-t-il. Je te jure que c’est vrai, mais dans l’agitation j’ai complètement oublié. Et je veux que tu réfléchisses bien, avant de…
— Raph !
— Bon. Après le déjeuner, j’ai discuté avec Philippe. J’ai accepté son aide et je suis allé ce matin lui déposer les quelques preuves qu’on a, pour les empreintes.
Tiens, le regard impassible. Ça faisait longtemps. Le vide envahit le visage de Cassie, pire que la colère, pire que la tristesse, l’implacable froideur.
— Cassie, commence Raph avec un soupir résigné, ne…
— Tu as impliqué Philippe ? Alors que j’avais expressément dit non ? Et tu appelles ça une bonne nouvelle ?
Ouais, bon, sur la bonne nouvelle, il s’est peut-être planté.
— Tu as au moins un flic de ton côté, tente-t-il.
— Ex. Ex-flic. Marié, père de famille et à la retraite.
— Cassie, il a le droit de…
— Je dois m’y remettre. A plus.
— Tu plaisantes ?
Elle ne plaisante pas. Elle a déjà récupéré ses chaussures et refermé la cloison derrière elle.
— Cassie ! Hurle Raph, tentant de se dépêtrer de la couette. Attends, bon sang, écoute-moi !
Le temps d’enfiler son jean et de dévaler les escaliers, Cassie a disparu. Le portail achève de se refermer. Deux fois qu’elle lui fait le coup ! Planquer les fringues, Raph. En cas de nouvelle délicate, toujours planquer les fringues. Novice, va. Agacé, il regagne son atelier. Ça, c’est fait. Echec sur toute la ligne, ne lui reste plus qu’à noyer sa frustration dans ces fameux rapports de police.
Deux heures plus tard, plongé dans sa lecture, il a oublié jusqu’à l’équipe de démolition sévissant dans sa salle de bain.
— Emilie ? Crie-t-il depuis le couloir. Tout va bien ?
— J’y vais, répond-elle.
Raph se frotte les yeux. Elle y va. Elle va où ?
— Tu vas où ?
Elle surgit sur le palier du dessous, tirant une valise à roulettes derrière elle, impeccable dans son tailleur gris, ses sempiternels talons aiguilles tapotant le parquet avec impatience. Il a beau n’être qu’un homme féru de courbes de pieds sensuelles, il déteste les talons de sa sœur. Beaucoup trop agressifs.
— Raph, trois jours, congrès, salle de bain, plomberie. Ça te rappelle quelque chose ?
Zut.
— J’avais oublié. Tu reviens mercredi, c’est ça ?
— Jeudi. On se retrouve à la maison jeudi soir. Et je compte sur toi pour surveiller la…
Raph se raidit, Emilie fait de même.
— Le bon déroulement des travaux, souffle-t-elle dans un effort visible.
Sans un mot, il la rejoint pour descendre sa valise au rez-de-chaussée. Ils se sont toujours bien entendus, tous les deux. Même en désaccord sur l’attitude à opposer à leurs parents, ils pouvaient tout oublier le temps d’une soirée vidéo débordante de fou-rires et de remarques caustiques. Maintenant... rien. Le néant. Le vide, la fuite, l’absence.
Il a attendu longtemps, la veille, le film prêt à démarrer et une quiche dans le four, avant de monter la chercher dans sa chambre. Elle était fatiguée. Il a dîné seul. Il immobilise la valise dans le hall et pivote vers sa sœur.
—Emilie… parle-moi. Ça va ?
Il effleure doucement sa joue abîmée, dorénavant plus jaune que bleue. Puis aussi agacé que malheureux, tire maladroitement sur les verres teintés dissimulant ses yeux.
—S’il te plait, parle-moi, murmure-t-il.
Les yeux gris vacillent, scintillent puis s’éteignent comme un néon en fin de vie. Elle redresse ses lunettes.
— Tout va bien, Raph, affirme-elle en s’écartant. Tu t’inquiètes pour rien. On se voit dans trois jours.
Elle n’a pas de comptes à lui rendre, il l’a lui-même souligné en sens inverse. Mais elle ne se contente plus de se taire, elle fuit, ment, dissimule. Evidemment, qu’il est inquiet. Il se glisse dans ses baskets pour porter la valise jusqu’à sa voiture, puis endure le claquement de portière et le vrombissement du moteur sans bouger, seul au milieu des gravillons en T-shirt et caleçon, jusqu’à ce qu’un courant d’air frais ne s’y infiltre très cavalièrement.
Même pas une bise, rien, constate-t-il amèrement en remontant fissa dans la chaleur de sa chambre. Il commence à en avoir ras les bonbons, des humeurs de ces dames. Patient avec sa sœur, patient avec Cassie, qu’il essaye la gentillesse ou la méthode frontale, c’est crise d’hystérie chez l’une et sourire poli chez l’autre. Et lui ? Qui pense à lui, dans tout ça ?
Il flanque un coup de pied dans son lit, expédie T-shirt et caleçon en boule dans un coin puis se dirige d’un pas rageur vers la douche. Il sait, pourtant, qu’il avance en terrain miné. Elles sont blessées. Elles ont besoin de temps. Mais deux femmes qui se refusent simultanément, ça fait beaucoup à encaisser pour un seul homme. Tournant les robinets, il laisse volontairement l’eau froide le percuter en pleine visage. Comment s’est-il retrouvé enchaîné à deux femmes perturbées, froides et fermées, d’abord ? Il aurait de quoi faire dix ans de thérapie avec une question pareille. Deux hypothèses : complexe œdipien ou vengeance céleste.
Il soupire, réduisant le débit de l’eau d’une main. Il ne demande pas la lune. Il a cru, pourtant, la veille, avec Cassie, avoir obtenu… bref. Il attendait quelque chose. Tout sauf cet au-revoir policé, encore moins ce silence radio après lui avoir exposé ses tripes. Il a quitté une Cassie sage et raisonnable, sans un mot affectueux, pour rejoindre une sœur mutique qui s’est isolée dans sa chambre avant même le dîner. A vingt-et-une heures, il était dans son lit avec des rapports d’enquête, seul. Alors oui, décide-t-il en se rinçant, il a le droit d’être de mauvaise humeur, et même un peu blasé. D’autres auraient fait leur valise depuis belle lurette.
Il émerge de la cabine, pestant contre son étroitesse et se rappelant du même coup qu’il dort chez Cassie les trois prochains soirs, puis attrape une serviette. Il n’a même pas l’intention d’annuler. Carpette, va. Déodorant, boxer propre, jean et T-shirt, un peu de parfum et une pointe de cire coiffante. Il revient dans sa chambre pour y chercher son portable. Autrement dit, soulever sa couette et vérifier sa table de chevet avant de composer son numéro depuis la ligne fixe.
Lorsqu’il met enfin la main sur le portable en question, trônant sur le bureau au fond de l’atelier, il tergiverse un instant. Crise de nerfs ? Explosion de joie ? Folie destructrice ? Choix cornélien. Il jette un nouveau coup d’œil au texto de Cassie, un autre à la minuscule poupée rousse pendue à une cordelette sur son panneau de liège.
— Allez, dis-moi à quoi tu penses.
Cassie fait la grimace à Sylvain et ment effrontément. Non, elle ne se triture pas les méninges pour justifier l’absence de réponse de Raph. Elle s’est exposée, bon sang, il pourrait apprécier l’intention. Heureusement, ça ne la touche pas. Même pas un peu. Rien du tout.
— Au plombier, affirme-t-elle en déverrouillant la voiture.
— Ouais, et moi je suis blonde à forte poitrine, s’esclaffe Sylvain. Tu penses… merde ! Qu’est-ce-que c’est que ça ?
Cassie ne répond pas. Elle détaille avec une moue qu’elle espère blasée le mot « bitch » gravé sur la portière passager.
On se calme, Raph. Bousiller ton atelier tout neuf, Cassie ne te le pardonnerait jamais. Déjà, la tâche de café, elle a du mal à digérer, alors du calme. Ce truc n’a pour but que de te déstabiliser, c’est du vent. Ouais. Du vent, peut-être, mais un vent nauséabond.
Il inspire profondément, reculant d’un pas. Cette fois, il en est certain, ce truc n’était pas là quand il s’est couché. Un inconnu est entré chez lui en pleine nuit, se jouant du système de sécurité censément inviolable alors qu’Emilie dormait à l’étage du dessous, nom de nom ! Il serre les poings et souffle lentement, s’exhortant au calme. Emilie va bien. L’auteur du message a une dent contre toi, Raph, toi seulement.
Ses nerfs reprennent peu à peu leur place et il souffle une nouvelle fois, se rapprochant du panneau de liège. La poupée est visiblement faite main, simple corps de tissu blanc ficelé et rembourré, une tête ronde, une touffe de brins de laine orange à la place des cheveux. Grossier. Sans la bouche écarlate ouverte sur un cri silencieux ou les yeux funestement représentés par des croix, l’objet serait risible.
Une cordelette est enroulée autour du cou en plusieurs tours si serrés qu’elle semble avoir été nouée avec une rage ou une excitation déchaînée, un rembourrage exagère des seins bizarrement obscènes sur une poupée si naïve, des tétons et une toison pubienne dessinés au feutre ornent le tissu blanc. Non, vraiment. Raph n’a pas envie de rire.
Il ne connait pas grand-chose aux empreintes digitales, mais ça vaut la peine de la confier à Philippe. Il décroche la figurine à l’aide d’un sac plastique, la détaillant sous toutes ses coutures grossières, cherchant une quelconque inscription, un élément spécifique pouvant lui donner une direction. Avant de se rendre à l’évidence : il n’est pas flic.
Cassie. Est-ce-qu’il aura une bonne nouvelle à lui annoncer, un de ces jours ? Entre la poupée et sa collaboration avec Philippe, il risque fort de dormir dans la chambre d’amis. Encore que… abandonnant sans plus de considérations le macabre objet sur la table, il se répand dans son fauteuil de bureau et ramasse son portable, lisant et relisant les quelques mots.
« Tu me manques ». En toutes lettres. S’il n’avait pas oublié son téléphone dans l’atelier, il aurait reçu son texto hier soir et certainement beaucoup mieux dormi. Il affiche donc un sourire de midinette en rut, coulant un regard dédaigneux à la poupée dans son sac plastique. Même pas mal, enfoiré. Je lui ai manqué. Pas toi.
Cassie pousse la porte d’entrée, foudroyant Sylvain du regard.
— Encore une réflexion, prévient-elle, une seule, et je te jure que j’appelle Mag pour lui en raconter des vertes et des pas mûres. Sept ans qu’on bosse ensemble, mon vieux. Je pourrai tuer dans l’œuf ta moindre chance de l’emballer.
— Ce serait vraiment mesquin, marmonne Sylvain.
— Ouais. Alors fais un nœud et oublie-moi.
Certes, Sylvain a scotché un carton sur sa portière pour dissimuler l’infamie. Mais quarante-cinq minutes de vannes sur son texto sans réponse ne poussent pas à l’indulgence. Elle claque bruyamment la porte, déclenchant une cavalcade chaotique au deuxième étage. Cassie lève le nez, perplexe. Un juron, quand il dérape sur la bâche. Puis reprise de la galopade, atterrissage et décollage. Les pieds dans le vide, Cassie tente de se ressaisir.
— Je viens seulement de voir ton message, murmure Raph contre sa tempe. J’avais oublié mon portable à côté.
Cette fois, elle se contente de sourire. Il vient d’avoir son message. D’ailleurs à en juger par la détermination avec laquelle il semble vouloir la concasser contre ses côtes, il l’a apprécié. Pourquoi, dans tous les scénarios échafaudés depuis la veille, n’a-t-elle pas envisagé le plus simple ? Parce que tu as l’esprit tordu, ma vieille. Complètement cabossé.
Son téléphone se met à sonner au fond de sa poche et elle pouffe dans son cou. Elle pouffe, maintenant. Ridicule.
— Raph, articule-t-elle, la gorge contre sa clavicule. Il faut que je réponde. Ça doit être le plombier.
— Je le déteste déjà, marmonne-t-il en la reposant au sol. Au fait, où est Sarah ?
— A l’appart’. Elle a eu plusieurs rendez-vous avec Cyril pour préparer le terrain, et on a deux autres chantiers en préparation, elle bosse sur les premières propositions. Allo ? Bonjour Cyril. Oui, je vous ouvre.
Elle raccroche, actionnant l’ouverture du portail à la commande située près de la porte.
— Tu as pris ce que tu voulais dans ta salle de bains ?
Zut, trop brusque. Elle inspire, se concentre sur la porte d’entrée et trépigne de l’orteil.
— Je suis contente de… je veux dire… bien dormi ?
Bon dieu ! Une équipe de cinq hommes débarque déjà de la camionnette, et elle n’a aucune envie de s’étendre en public. Elle pivote pour noter qu’en plus de se ridiculiser devant Raph, qui a du moins une chance de trouver tout ça charmant, elle bredouille devant un Sylvain franchement hilare, tranquillement accoudé à la rampe de l’escalier.
— Tu veux qu’on reparle de Mag ? Menace-t-elle.
— Ça va, je m’arrache, sourit-il en s’éloignant. Mais je te l’avais dit ou pas, que tu te faisais des films ?
La porte d’entrée laisse filtrer les voix des nouveaux arrivants. Cassie jette un coup d’œil paniqué à Raph, cherchant comment, dans une relation standard, on prie gentiment l’autre de dégager fissa.
— Je te laisse travailler, la devance-t-il sans perdre son sourire. Viens me voir quand tu auras une minute, d’accord ?
Il l’embrasse rapidement, puis décolle aussi vite qu’il est arrivé. Salle de bains, Cassie, salle de bains ! Pense plomberie, s’ordonne-t-elle, ouvrant la porte sur un sourire très peu professionnel.
Il a presque fini. Raph a bouclé en quatre heures le travail de la journée, se libérant l’après-midi, et il en est très fier. Il n’aura qu’à penser à l’envoyer le soir même. C’est qu’il faut justifier ses tarifs, tout de même.
Cassie n’est pas venue le voir, débordée, probablement. Sauf qu’elle est bien capable de lui reprocher le temps d’attente une fois présentée la poupée. Il sauvegarde son travail, prépare les mails à expédier en fin de journée et ferme ses fichiers, puis tout occupé qu’il est, tressaille aux légers coups contre la cloison de sa chambre.
La chambre ? Il consulte sa montre, bien que renseigné par les grondements de son estomac, puis se lève pour faire coulisser la cloison. Elle a vraiment des yeux incroyables, songe-t-il, nez à nez avec une Cassie entièrement nue. Et ces fesses… il tâte les coupables avec un soupir, d’ores et déjà hors d’état de réfléchir.
D’ailleurs, même s’il l’avait été, en état, il n’aurait pas eu le temps de placer un mot. Une demi-heure plus tard, haletant, étendu sur le lit sans savoir comment il y est arrivé, il tente toujours de reconstituer l’enchaînement des évènements. Elle lui a sauté dessus, conclut-il, vrillant distraitement une boucle rousse autour de son doigt.
Cassie ne sait pas faire l’amour. Une déesse du sexe, oui, et loin de lui l’idée de s’en plaindre ! Mais pour un peu qu’il mêle la tendresse à l’affaire, elle est perdue. Pas contrainte, pas agacée, même pas vraiment gênée. Simplement surprise, à tel point que Raph se demande quel genre de rapports elle pouvait bien avoir avec son mari.
— Cassie ?
— Mmm ?
Non, il ne posera pas la question. Il n’est pas fou.
— Tu m’as manqué aussi.
— Mmm.
— Il t’a fallu plus ou moins d’une heure pour le taper, ton texto ?
Elle ne répond pas, mais sourit contre l’oreiller. Raph a sa réponse. Elle s’est fait violence, pour lui, la vie est belle même avec ce qu’il doit dire. Reste à voir dans cinq minutes. Il s’écarte doucement pour s’assoir.
— Cassie, j’ai quelque chose à te dire. Deux, en fait. Je commence par la bonne ou la mauvaise nouvelle ?
— La mauvaise, exige-t-elle, se redressant lentement.
— J’ai reçu un nouveau… message. En quelque sorte.
Pas la peine de faire traîner, le sourcil acajou s’impatiente déjà. Il se propulse hors du lit et y revient muni du sac plastique.
Cassie frémit. Ce truc est hideux, si ridicule qu’elle ne parvient pas à s’y identifier. Tout comme l’inscription sur sa voiture, la poupée évoque une frénésie d’adolescent en rut qui bien que franchement menaçante, l’est moins que la froideur distante à laquelle elle était habituée.
— Il n’était pas aussi… sexuel, à l’époque, murmure-t-elle en détaillant la figurine. Il parlait du plaisir physique qu’il prenait, mais là… c’est différent. Le meurtre n’est plus son seul but, il y a ajouté le viol.
— Là, lance Raph avec circonspection, je ne te suis plus. Tu n’as l’air ni inquiète, ni effrayée, ni même en colère.
Elle hésite, levant les yeux vers lui sans pouvoir retenir un sourire. Assis nu sur le lit, son front plissé pour seul vêtement, Raph la recouvre presque de son ombre.
— Ne me ménage pas, exige-t-il. Tu ne voudrais pas que je le fasse pour toi.
— Je ne vais pas dire que ce truc ne me touche pas, loin de là, grimace-t-elle avec un geste en direction du sac plastique. Mais c’est moi qu’il vise. S’il veut te punir, c’est en me tuant, moi, et je préfère moi que toi.
— Cassie…
— Tu m’as demandé la vérité.
Vrai. Il déteste sa résignation, mais elle a passé des mois à côtoyer la mort, à l’attendre, à l’envisager. Peut-il décemment lui reprocher de s’y être accoutumée ?
— Tu n’as pas peur de mourir, soupire-t-il.
— C’est facile à dire tant qu’on n’est pas au pied du mur, sourit-elle. Mais pas vraiment. Je n’en ai pas envie non plus, c’est juste que… si ça doit arriver, ça arrivera. Je préfèrerais éviter le viol, mais la pendaison me semble moins terrible qu’une éviscération ou un truc du genre.
Raph déglutit avec peine, mâchoires crispées. Dieu sait qu’il apprécie le quinzième degré mais là, même pour lui, c’est trop.
— Je ne veux pas mourir, reprend-t-elle, glissant sa main sur la sienne. Mais vivre avec cette idée est le seul moyen que j’ai trouvé pour ne pas devenir folle. Si ça peut t’aider, dis-toi que comme ça, je reste sur mes gardes.
Non, ça ne l’aide pas. Ce qui l’aide, c’est cette menotte pâle sur la sienne, l’air de rien, dont la propriétaire ne semble absolument pas consciente.
— Ça ne me plait pas, avoue-t-il, mais je ferai semblant.
— Bon. Jette-moi cette horreur, maintenant.
Raph ne répond pas, suivant des yeux Cassie qui s’extirpe du lit en deux bonds pour enfiler une adorable culotte à pois jaunes. Il ne va pas jeter cette horreur, mais la confier à Philippe, ce qui l’amène au sujet suivant. Pourquoi diable a-t-il parlé de bonne nouvelle ?
— Et la bonne nouvelle ? Interroge-t-elle justement.
— D’accord, mais promets-moi d’abord de m’écouter jusqu’au bout.
Cassie lui fait face, les yeux plissés. Elle achève d’enfiler sa tunique, ferme son pantalon pervenche et plante les poings sur ses hanches. Mal emmanché, mon vieux Raph.
— Je ne promets rien. Accouche.
— Je voulais t’en parler hier soir, débute-t-il. Je te jure que c’est vrai, mais dans l’agitation j’ai complètement oublié. Et je veux que tu réfléchisses bien, avant de…
— Raph !
— Bon. Après le déjeuner, j’ai discuté avec Philippe. J’ai accepté son aide et je suis allé ce matin lui déposer les quelques preuves qu’on a, pour les empreintes.
Tiens, le regard impassible. Ça faisait longtemps. Le vide envahit le visage de Cassie, pire que la colère, pire que la tristesse, l’implacable froideur.
— Cassie, commence Raph avec un soupir résigné, ne…
— Tu as impliqué Philippe ? Alors que j’avais expressément dit non ? Et tu appelles ça une bonne nouvelle ?
Ouais, bon, sur la bonne nouvelle, il s’est peut-être planté.
— Tu as au moins un flic de ton côté, tente-t-il.
— Ex. Ex-flic. Marié, père de famille et à la retraite.
— Cassie, il a le droit de…
— Je dois m’y remettre. A plus.
— Tu plaisantes ?
Elle ne plaisante pas. Elle a déjà récupéré ses chaussures et refermé la cloison derrière elle.
— Cassie ! Hurle Raph, tentant de se dépêtrer de la couette. Attends, bon sang, écoute-moi !
Le temps d’enfiler son jean et de dévaler les escaliers, Cassie a disparu. Le portail achève de se refermer. Deux fois qu’elle lui fait le coup ! Planquer les fringues, Raph. En cas de nouvelle délicate, toujours planquer les fringues. Novice, va. Agacé, il regagne son atelier. Ça, c’est fait. Echec sur toute la ligne, ne lui reste plus qu’à noyer sa frustration dans ces fameux rapports de police.
Deux heures plus tard, plongé dans sa lecture, il a oublié jusqu’à l’équipe de démolition sévissant dans sa salle de bain.