![]() Il est des moments figés dans le temps. Vous savez, ceux qui s’étirent au ralenti comme dans les films, ça existe, la plupart du temps juste quand on voudrait qu’ils passent à toute allure. De ceux où on a le temps de se dire « ben voyons », « saleté de destin », ou « ça va faire mal ». Ça marche aussi bien en version métaphorique que littérale, d’ailleurs, et concernant Philomène, on en reste à la littérale. Elle est figée, là, comme ça, par pure bonté d’âme. Elle a horreur des mômes. Enfin pas vraiment, pas horreur, disons simplement qu’elle ne sait pas quoi leur dire. Et que les mômes c’est comme les chiens, ça sent la peur, vous pouvez être sûr que le moindre enfant un peu roublard dans un rayon de cinq cent mètres est attiré par Philomène comme un papillon par une flamme. Elle peut presque entendre les rouages de leurs cerveaux miniatures se mettre en branle. Mais son frère l’a suppliée. Panne de baby sitter, gna gna gna, pitié pitié vacances scolaires, pfff, pour la paix de mon couple juste une heure anniversaire meilleur pote SOS petite sœur, beuh. Philomène est une garce, mais une garce au grand cœur. D’où le samedi après-midi en pleine cambrouse, prête à converser poliment avec ses trois nièces qu’elle les adore. En photo. Parce que qu’est-ce-qu’on raconte à des triplées de dix ans, hein ? On leur parle du perfecto introuvable qu’on a déniché en solde la veille ? Ou de la femme du boss qui drague le comptable ? Ou du mec de la semaine dernière qui gardait ses chaussettes au lit ? A leur âge, Philomène jouait avec des Polly Pocket. Les trois angelots passent leur temps sur un Ipad, maîtrisant le toucher-glisser avec un professionnalisme terrifiant. Alors que le temps s’étire, Philomène s’interroge. Elle n’a qu’une hypothèse : les angelots ont ajouté quelque chose à son rosé. Bref, de toute façon son frère et sa belle-sœur ont disparu avant qu’elle ait le temps de changer d’avis, apparemment peu inquiets de confier leur précieuse progéniture à une femme qui préfère les chiens aux enfants. Elle a bien tenté d’engager la conversation, mais c’était pire qu’un entretien d’embauche. Elle commençait à en avoir des sueurs froides. Trois regards identiques qui vous dévisagent sans décrocher un mot, c’est carrément flippant, expliquant sans doute pourquoi quand la ménagerie s’est remise en branle, elle s’est laissée convaincre. Se déguiser ? Mais bien sûr mes cocottes, évidemment, ah je me déshabille, là, devant vous ? Euh… bon. Je mets ta robe et tu mets la mienne, oui mais on va avoir un problème de taille, là, si… je suis petite. Oui je sais, merci. Alors que toi tu es grande, ben voyons, allons-y, ouh là c’est que ça tiraille et puis c’est un peu court, non ? Non ? Les filles à la télé elles mettent des trucs plus courts ? Ah. Oui j’ai des gros seins comme Mamie, merci ma puce, admire mon self-control. La logique enfantine est particulièrement déstabilisante pour un adulte non entraîné. Philomène est restée coite. Elle a cessé de respirer et s’est faufilée dans une robe à smocks, a tiré les chaussettes sur ses genoux mais refusé les sandalettes, faut pas pousser mémé dans les orties, elle a remis ses ballerines. Une dizaines de pas lui ont suffi pour évoluer à moitié à poil. Les coutures lâchaient de tous les côtés, l’ourlet lui arrivait juste à la culotte, les smocks lui cisaillaient la peau et à ce niveau-là, elle avait cessé toute activité cérébrale pour se concentrer sur sa survie. A savoir, surveiller sa montre. Comment s’est-elle retrouvée dehors ? Elle ne sait pas vraiment, du coup. Elle s’y est juste retrouvée, dans un état assez proche d’une journée post-nuit blanche, avec gueule de bois lancinante et neurones en veille. C’est presque en remerciant qu’elle s’est laissée pousser sur le trampoline. Elle le savait, pourtant. Ces gamines sentent la peur. Elles en jouent. Philomène décide que si elle en réchappe, elle fera exorciser les trois angelots parce que ça n’a rien d’humain, ces trucs-là. Saute ! Qu’on lui ordonne. Allez saute, mais plus haut quoi, t’es nulle, allez ! Philomène saute. La culotte en plein courant d’air et les coutures craquant à qui mieux mieux, elle saute, surveillant sa montre et guettant la libération, ce qui explique probablement comment elle n’a pas vu que les suppôts de Satan tiraient le trampoline en arrière au milieu de son plus beau rebond. Alors voilà. Figée. Elle est en l’air, le temps s’étire, la terre se rapproche, elle découvre avec joie la flaque de boue révélée par le trampoline disparu, elle a le temps de se dire que le paysage est vraiment joli et que ça va faire mal, le temps d’entendre les gloussements hystériques derrière elle, le temps de hurler une bordée de jurons très peu adaptée au paysage bucolique, le temps de tirer sur les lambeaux de la robe et de se dire que son frère, dans la voiture qui s’approche enfin au bout de l’allée, va se demander ce que fabrique sa frangine en petite culotte dans une flaque de boue.
17 Commentaires
Mamzette
4/4/2014 11:44:24
Nan mais c'est vrai quoi, les Pollypockets c'était quand même vachement plus convivial qu'un jeu Ipad, ou c'est moi qui suis réac? Bon, je vais voir si ma mère a conservé précieusement mes Pollypockets ou si elle a allumé le feu avec il y a vingt ans et je te tiens au courant :D
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rental car
5/4/2014 13:20:22
C'est pas très grave...elle est presque contente de tomber dans la boue, et d'avoir enfin l'alibi parfait pour enfermer à vie les triplets de Belleville dans leur chambre.
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Mamzette
5/4/2014 17:57:02
Aaaaah voilà une happy end qui me plait, le beau fermier au fond de la colline à droite. Gageons que cette brave Philomène, qui n'aura pas pris le temps de se changer avant de coller une raclée à frérot et d'aller constater de visu la bonne santé du mâle, va emballer direct avec sa robe Jacadi ras la culotte. Et puis une bonne culbute dans le foin, hein... voilà qui lui remettra la colonne d'aplomb ;D
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Mamzette
5/4/2014 17:58:18
Barbie, Pollypocket, Mon Petit Poney, à bas les pouffes Bratz et vive les Popples et les Bisounours :D
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Mamzette
6/4/2014 04:38:53
@Lou
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6/4/2014 04:39:30
ouf merci Lou, je me sens moins seule, j'allais parler de mon kiki de tous les kikis!
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Mamzette
6/4/2014 07:06:39
Oh comme c'est gentil, je ferais bien un câlin à mon Kiki, là maintenant tout de suite. Malheureusement, je viens d'apprendre qu'il n'était plus de ce monde. Il a servi de jouet au chien 10 ans plus tôt. Paix à son âme... et bienvenue à toi, en espérant te fournir un bon dimanche de rigolade!
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6/4/2014 08:20:39
Je le dis toujours "faites des gosses mais démerdez-vous avec! ..." sinon la correction en mode catcheuse dans la boue pour les triplettes c'est censuré!?
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Mamzette
6/4/2014 16:41:00
Non mais tu rigoles, mariée à un Kiki c'est notre rêve inavouable à toutes! Et y en a d'autres, des mecs-Kiki? Ils en ont fait un lot ou ils ont arrêté la production?
Mamzette
7/4/2014 10:02:36
Venant de toi, je reçois le compliment à sa juste valeur! Ceci dit je t'avoue que cette phrase en particulier, je l'ai savourée en l'écrivant :D
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8/4/2014 12:20:14
Technique de contre attaque : elle tombe, rie, jette un coup d’œil vite fait dans l'allée (à cette distance le frangin ne verra rien), attrape les trois petits cons, les balance dans la boue avec elle, leur fait bouffée deux trois cailloux, court dans la salle de bain, la guirlande de marmot sous le bras, et accueil son frère style de rien en culotte dans le salon avec ses trois neveux en terre cuite. Et à la question de son frangin : " ça c'est bien passé ? " - elle répondra : " oui on s'est super bien amusé " et renchérira sur un " d'ailleurs hésites plus à m'appeler je me ferais un plaisir de venir garder ces trois amours " (coup d'oeil sur les trois mouftons, geste précis d'un couteau invisible sur la gorge) - Technique de la peur inversée !
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Mamzette
9/4/2014 13:26:34
Et les neveux en terre cuite, si elle les laisse sécher en pied pour s'en faire des nains de jardin, ils l'auraient pas mérité? Fuck le frangin après tout, fallait pas confier ses suppôts de Satan à une femme qui préfère les chiens.
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