![]() Tout commence au petit déjeuner. C’est que Félicie est une femme moderne, elle lit Elle, elle a un compte Facebook et trois adresses mails. Une vraie geek, quoi, un smartphone et une habileté démoniaque à Candy Crush l’en ont convaincue sans trop de mal, mais Félicie a toujours été facile à convaincre. Même qu’elle tape ses textos avec les deux pouces, comme les djeuns. Aussi ce matin, quand elle lit derrière sa tartine de pain complet que le mot selfie est élu mot de l’année 2013 par les Oxford Dictionnaries, la croûte lui reste-t-elle en travers de la gorge. Elle réalise avec horreur n'avoir jamais fait de selfie. Pas une fois. Que même pour ses PP (Photos de Profil, pour les non-geeks), elle utilise des images prises par d’autres, et qu'elle n’a jamais posté une photo d’elle un peu intime ou un peu honteuse. Ni téton qui pointe ni Tampax qui dépasse, rien, même pas une petite Duck face (bouche en cul-de-poule, pour les non-geeks). Que dalle. Elle sur ses photos, elle sourit bêtement. Une vraie nonne. Qu’à cela ne tienne, Félicie est une femme d’action. Elle fait jaillir le smartphone de sa robe de chambre, tend le bras et se mitraille la moue boudeuse. Bon. Forcément avec les miettes, ça le fait moyen. Intime et honteux, d’accord, mais qu’elle soit à son avantage, quand même, sinon à quoi ça sert ? Selfie phase 2, go. Elle plante son petit dèj pour se précipiter dans sa chambre, et c’est là, en pantoufles et sans maquillage, que frappe l’inspiration. Envahie par Man Ray et Sarah Moon, Kim Kardashian et Miley Cyrus, inondée de lumière matinale, blanche, flatteuse, éthérée, Félicie tombe la robe de chambre sur un coup de tête. Parce que qu’est-ce-qu’un selfie sans téton dans l’image, hein ? Même pas peur, par ici le selfie. Ceci dit, bien que dotée de tétons tout à fait présentables, dix-huit essais suffisent à lui doucher sévèrement l’enthousiasme. Impossible de prendre une photo correcte avec ce machin à bout de bras, non mais sérieux, 1m60, quoi, elle manque de recul, on lui voit les trous de nez jusqu’au cerveau. A force de persuasion, elle se convainc tout de même que non, dans la réalité, elle n’a pas tous ces plis partout, ni ces bourrelets disgracieux, ni ces horribles bras décharnés sur un petit ventre rond, que tout ça c’est la faute de ce smartphone indélicat, qui bien que doté de tout et n’importe quoi n’a pas la décence d’offrir un filtre photo effet Kate Moss. Elle en conclut donc que sans trouver illico une autre méthode, elle peut dire adieu au selfie salace ou se dégoter un bon psy. On vous l’a dit, Félicie est une femme d’action. Sitôt dit sitôt fait, elle exhibe du placard son vieil appareil photo numérique avec retardateur, attrape le drap du lit et s’emmitoufle dans les plis façon toge moderne hyper stylée. Si, si. Facile à convaincre, on vous l’a dit aussi. La mise en scène est parfaite, le miroir dans le coin de la chambre le confirme. L’appareil photo est juché sur la commode, bien en face, le mur derrière elle immaculé et le soleil par la fenêtre souligne joliment la pudeur virginale du drap tombant sur ses tétons cachés certes, mais suggérés tout de même, selfie oblige. Félicie est au taquet, le selfie est à portée de main, elle visualise déjà sa gloire à venir sur Twitter. Il faudra qu'elle pense à se créer un compte, d'ailleurs. Elle règle le retardateur, court se poster devant le mur et attend la gloire. Elle n’a oublié que quelques détails, finalement. Que le flash est enclenché, par exemple. Ou les rideaux de la fenêtre grand ouverts. Qu’elle habite au rez-de-chaussée, et que son voisin rentre chez lui à ce moment-là encore que non, faut pas pousser, ça elle ne pouvait vraiment pas prévoir. Ah, et voilà ce qu'on a oublié de vous dire à propos de Félicie. Elle est rousse. Mais rousse, genre pas pris le soleil depuis quinze ans, chevelure de feu et regard d'eau, absolument charmant si ce n'est la fragilité de sa peau diaphane ou l'hypersensibilité de ses yeux clairs. Et là, même en sachant ça, comment pourrait-elle deviner que le flash, réfléchi par le miroir dans le coin de la chambre, va lui exploser la rétine avant qu’elle puisse battre des cils ? Comment pourrait-elle ne pas, la rétine carbonisée, lâcher le drap pour se protéger les yeux, reculer d’un bond et creuser un trou dans le mur avec sa boîte crânienne ? Et puis vraiment, on défie quiconque de prétendre le contraire, comment pourrait-elle imaginer qu’attiré par le flash, le voisin va tourner la tête à ce moment-là vers la fenêtre, pour y trouver un fessier pâle dégoulinant au sol dans un torrent d’injures très peu délicat mais ô combien efficace ? Ceci dit, il est gentil, le voisin. Il vient voir si elle va bien. Et quand elle lui répond très poliment que b** de p** de sa mère, f** que non, ça ne va pas, p** de m**, est-ce-qu’elle a l’air d’aller bien, s** de**, avec sa c** d’idée de c** de selfie de m** et ses p** d’yeux n**, il enjambe galamment la fenêtre ouverte pour l’aider à se relever. Sans toucher. Du coup, une fois tarie sa liste d’argot, elle lui offre un café, rapport à l’assistance à personne en danger. Et attablée devant son petit déjeuner interrompu avec un inconnu, elle se promet tout un tas de choses. Entre autres, que s’il est aussi charmant visuellement que sa voix le laisse espérer, ce qu’elle s’empressera de vérifier sitôt que ses rétines reprendront forme, elle lui offrira un second café. Que s’il accepte en dépit de la robe de chambre, des compresses sur les yeux et du sac de petits pois congelés sur le crâne, c’est qu’elle doit vraiment avoir un cul d’enfer et/ou une personnalité fascinante. Et que si les conditions précitées sont réunies, peut-être qu’il voudra bien l’aider, parce qu’un selfie au lit, est-ce-que ce ne serait pas le summum de la branchitude, par hasard ? *Si tu te demandes ce que c'est que ce délire et ce que tu as loupé, va voir ici l'explication de la Flashpic
2 Commentaires
|
Archives
Mars 2018
Categories
Tous
|