Augustine est beaucoup de choses. Entre autres, fromagère, amie des bêtes, sexy du pied et rousse flamboyante, pas mal pour une seule femme. Enfin, fromagère… corrigeons dans la foulée l’image idyllique de pâturage, de biquettes et de lait frais qui vous vient en tête : Augustine ne fait pas le fromage, elle le vend. Ses pâturages se résument à trois pots de basilic accrochés au balcon, son lait est en carton et ses biquettes sont les pigeons du voisinage, qui se battent pour les miettes de vieux Roquefort qu’elle leur disperse. Oui elle sait, non seulement ça fait vieille fille, mais en plus, rien de tout ça n’explique sa position de Bouddha bourré. Patience, on y vient.
Disons que ce jour-là, elle aurait dû se douter qu’il se passait un truc louche côté karma. Son livreur de Coulommiers était arrivé avec une gueule de bois monumentale, il lui avait renversé la palette sur les crottins, l’orgie laitière était insoutenable. Puis avait débarqué le livreur Cabécou, un abruti libidineux qui avait décidé de mettre la main sur la fromagère. Fromagère qui a bien dû, pour sauver la pureté de son tablier, projeter l’homme et sa libido dans le mélange Coulommiers-crottin. Mélange Coulommiers-Crottin qui avait volé, giclé et projeté, poussant le libidineux à un éloignement stratégique raté et achevé dans la boîte à fusible. Vous imaginez, sans doute, les conséquences d’une coupure de courant dans une fromagerie, même une courte. Disons que les arômes se diffusent. Heureusement, Augustine est une fromagère très zen, elle médite à mort, tous les matins sur sa carpette, et c’est sans doute ce qui lui a évité de traiter les rides de la vieille Chuchard au Reblochon. Pas frais, son Epoisse. Non mais oh. Mais puisqu’Augustine est une fromagère zen, on l’a dit, elle a poliment conseillé à madame Chuchard d’aller se faire tirer les plis chez le père Noël, et vite, avant de se prendre une pâte cuite en plein dentier. Vous imaginez tout aussi bien, sans doute, l’état d’Augustine en fin de journée, senteur brebis et pores dilatés au Maroilles. Que fait donc une fromagère à deux tranches de s’injecter la listériose ? Elle se fait mousser la féminité. Parfaitement. Polir un poil ce qui se cache sous le tablier, c’est du sans fautes, ça vous rabiboche une Augustine avec elle-même. Elle vous a mentionné, Augustine, qu’elle était sexy du pied ? C’est son petit truc en plus, à la fromagère. Elle aime les jolis pieds. Pédicure, vernis, tatouages, bagues d’orteils et tout le toutim. Vous saisissez la recette ? Le plan était simple : une bonne douche, une senteur fruitée, pédicure intégrale, et Augustine était déjà à poil, quand elle a pensé à ses pigeons. Ils devaient avoir faim, les choupinets. Bon allez mais vite fait, qu’elle s’est dit, avec dans l’idée de projeter la poignée de Roquefort émietté sous le voilage, comme ça, jusqu’au balcon, et vous vous dites oh la quiche, on le voit venir gros comme un menhir. Oui, mais non. Le problème est apparu un chouïa plus tôt, quand Augustine a traversé la pièce à poil en se demandant quelles bagues d’orteils elle choisirait pour remplacer celles qu’elle portait. Parce qu’admirer ses orteils en marchant est une idée stupide. Et que fatalement, Augustine a raté son virage et s’est répandue avec l’élégance d’un camembert normand en pleine canicule. Version courte ? Dix-neuf pigeons perchés sur un balcon, le bec tendu vers les subtils effluves de Roquefort, devant une fenêtre ouverte voilée par un rideau. Le dîner desdits pigeons répandu sur le parquet. Dix-neuf pigeons qui foncent bec en avant sans grand égard pour le fragile voilage, et une Augustine qui protège ses parties les plus précieuses en position du lotus agonisant, insultant Bouddha et le Cabécou. Et voilà, c’est là. Aussi bête que ça. Le moment où les pigeons se sont calmés et où Augustine a voulu se relever, pour constater que ses cheveux étaient coincés dans sa bague d’orteil, bague d’orteil impossible à enlever sans se scalper. Le moment où le beau gosse d’en face lui conseillait de fermer ses rideaux depuis l’autre côté de la cour. Ceci dit, Augustine est une fille positive et elle vous dira que ce jour-là, en attendant que son voisin défonce la porte et lui coupe la mèche, les rainures du parquet incrustées dans les fesses et toujours parfumée au Coulommiers, elle a atteint le stade de détachement le plus élevé de la méditation. La vérité suprême s’est enfin clairement affichée dans sa conscience purifiée. La vie des fois, ça pue comme un vieux Munster.
10 Commentaires
Tu as l'air de me transporter dans chacune des histoires que tu racontes dans tes articles. Je commence à lire les deux premières phrases puis je ne décroche plus jusque la fin.
Réponse
Mamzette
20/9/2014 06:31:38
Je suis une cow girl des mots, je chope mes lectrices au lasso :)
Réponse
20/9/2014 04:40:03
Jolie brève, racontée avec humour et une qualité redactionnelle comme j'aime! :)
Réponse
Mamzette
20/9/2014 07:07:09
Merci m'dame, ravie que ça t'ait plu!
Réponse
20/9/2014 07:50:58
pauvre Augustine, elle aurait certainement préféré être pâtissière à cet instant précis et se vautrer dans la forêt noire, ça aurait eu une autre gueule!
Réponse
Mamzette
21/9/2014 06:50:18
Et la conclusion aurait été "la vie des fois, c'est clair comme une forêt noire" :D
Réponse
Mamzette
21/9/2014 06:57:14
Par défaut, chez moi c'est toujours happy end. Sache que dans ma tête, le voisin finit par savonner lui-même Augustine, histoire d'atténuer le traumatisme et de lui fleurir la senteur. Happily ever after!
Réponse
28/9/2014 08:17:56
Tu me crois si je te dis que j'ai lu cet article en mangeant une bonne vieille mimolette, juste avant d'aller au yoga... alors Augustine j'adore puissance 10 000, la chute est terrible mais tellement vrai! un délice comme d'hab!
Réponse
Mamzette
28/9/2014 18:04:48
Je te crois sur parole et je t'en félicite, c'est faire honneur à Augustine... et au yoga. C'est yogi spirit, la mimolette? Là, faut que je me penche sur la question.
Réponse
Laisser une réponse. |
Archives
Mars 2018
Categories
Tout
|